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« Certes, on dit : la liberté de parler, ou d’écrire peut nous être retirée par un pouvoir supérieur mais absolument pas celle de penser. Toutefois, quelles seraient l’ampleur et la justesse de notre pensée, si nous ne pensions pas en quelque sorte en communauté avec d’autres à qui nous communiquerions nos pensées et qui nous communiqueraient les leurs ! On peut donc dire que ce pouvoir extérieur qui dérobe aux hommes la liberté de communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser ».

Composant l’un des piliers de notre société, cette liberté d’expression, d’opinion, d’information ou de communication est proclamée par des textes tels que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art 10, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de 1950, art 11. La Cour européenne des droits de l’homme juge qu’il s’agit d’un véritable droit à l’information du public, un droit à la vérité dont la presse est « un chien de garde » CESDH Plan c France 18 mai 2004.

Cependant, afin de préserver les droits des autres, la loi peut prévoir des limites nécessaires au respect de la réputation d’autrui. « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres » (voir art 4 DDHC).

En droit interne, c’est le cas de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui délimite et sanctionne l’abus par un arsenal répressif. Parmi les multiples infractions pénales qui innervent le droit de la presse, la diffamation et l’injure.

C’est dans ce cadre que, le 15 décembre 2015, la Cour de cassation a dû se prononcer pour deux affaires de diffamations.

Dans sa décision n° 14-82529, il est question d’une société de laboratoire qui fait citer un directeur de publication et dans sa décision n° 14-85118, un Maire en fera autant pour un citoyen.

Dans le premier cas, les propos litigieux « Z…récidive », « Après le M…, le Pro… », « ... la mise en examen du laboratoire paraît imminente... », dans le second cas, « fils de crapule, le maire est une crapule, il est où le maire que je l'étrangle, D... assassin, incendiaire, voleur …».

En première instance, le journaliste et directeur de publication est reconnu coupable du chef de diffamation publique, il interjettera appel. Il sera relaxé. Pour les juges du fond :

  • Les termes « Z...récidive » sont trop vagues pour s'appliquer à un fait ou à un comportement précis contraire à l'honneur ou à la considération de la partie civile et être qualifiés de diffamatoires au sens de la loi sur la presse.
  • Ces propos litigieux s’apprécient au regard du cadre d’un éditorial « dont le but n'est pas de livrer au lecteur une synthèse objective des informations publiées, mais de donner à son auteur un espace de liberté dans lequel il peut exprimer son opinion et ses sentiments sur un ton et dans un style qui lui est nécessairement personnel et qui peut donc être polémique et empreint d'exagération »
  • « Le journal était en droit de publier les propos litigieux dès lors que, selon M. X..., un rapport établirait que le laboratoire aurait falsifié ses rapports et dissimulé les effets secondaires des médicaments contre l'ostéoporose, sans préciser les documents offerts en preuve d'une base factuelle pouvant justifier lesdits propos »

Dans le second cas, les juges avaient prononcé la nullité de la citation, le Maire fait appel. M x est condamné pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public. Pour les juges du fond :

  • « les termes "assassin, incendiaire, voleurs" porteurs de l'imputation d'une infraction pénale ont manifestement un caractère diffamatoire en ce qu'ils portent atteinte à l'honneur et à la considération de la personne qu'ils visent » et « que les termes injurieux, « crapule », « merde », « sous-merdes », qui ne peuvent se comprendre qu'au regard des propos diffamatoires précités, se rattachent indivisiblement à l'imputation diffamatoire et qu'en conséquence, le délit d'injure est absorbé dans celui de diffamation »
  • « la fonction de maire, exercée par M. Michel D..., depuis mars 2001, est la cause du fait diffamatoire imputé à M. X... »

Dans les deux cas un pourvoi est formé pour manque de motivation ou d’éléments démontrant un lien entre la fonction et le fait imputé. Ce que confirmera la Haute juridiction :

  • Pour le Directeur de publication : Au visa de l’art 593 cpp « Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence », encourt la cassation l’arrêt qui, pour relaxer le prévenu, retient des motifs énoncés précédemment sans analyser l'ensemble des propos dont elle était saisie figurant en page une du journal, d'autre part, sans mieux s'expliquer sur la prudence et la mesure dans l'expression de la part du prévenu qui imputait à la partie civile d'avoir érigé le mensonge et la manipulation en modèle économique afin de diffuser, par cynisme et à des fins purement mercantiles, des poisons violents, et sans rechercher si les propos reprochés, même figurant dans un éditorial et traitant d'un sujet d'intérêt général, reposaient sur une base factuelle suffisante en rapport avec la gravité des accusations portées, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ».
  • Pour le justiciable et le la fonction de Maire : Au visa des art 29, 30 et 31 loi du 29 juillet 1881 « Attendu qu'en matière de presse, il appartient à la Cour de cassation de contrôler le sens et la portée des écrits incriminés, et de vérifier si dans les propos retenus dans la prévention se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique tels qu'ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881 ». Encourt la cassation l’arrêt qui, pour condamner le prévenu du chef de diffamation envers un citoyen pourvu d’un mandat public, retient « que les propos litigieux, qui s'inscrivaient dans un contentieux lourd et ancien entre M. X... et M. D..., faisaient référence précisément à un incendie, survenu quelques jours auparavant, d'un hangar appartenant au premier nommé, qui en imputait la responsabilité au second, alors que le fait imputé ne constituait ni un acte, ni un abus de la fonction du maire, et se trouvait dépourvu de tout lien avec ladite fonction, la diffamation ne concernant que le particulier » et en aucun cas la fonction.

 

I- L’OBLIGATION DE MOTIVATION POUR LE JUGE

Afin de garantir tout justiciable de l’impartialité et de la neutralité du tribunal, des principes directeurs gouvernent la procédure pénale mais aussi civile. La motivation est censée obligé le juge a de la rigueur afin d’expliquer la rationalité de sa décision.

A- L’impartialité et la neutralité du tribunal

Le droit à un procès équitable consiste à tout mettre en œuvre pour permettre à tout individu d’exposer sa cause dans des conditions qui ne le désavantage en aucune manière vis-à-vis de son adversaire. Dans l’affaire PIERSACK c France du 1er octobre 1982, la CEDH émet la possibilité que « si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugés ou de partis pris, elle peut, notamment sous l’angle de l’art 6§1 de la Convention, s’apprécier de diverses manières :

  • Démarche subjective dans la détermination de ce que tel juge pensait en son for intérieur en telle circonstance

« L’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion » CEDH REMLI c France du 23 avril 1993.

  • Démarche subjective dans la recherche d’une garantie suffisante du tribunal pour exclure tout doute légitime.

Dans l’affaire CUBBER du 26 octobre 1984, la CEDH condamne le fait qu’un magistrat membre d’une chambre d’instruction puisse être membre d’une juridiction de jugement. Il s’agit d’éviter d’une appréciation juridique en amont du rendu de la décision.

Rappelons que le justiciable possède deux actions : la récusation du juge ou la demande de renvoi pour suspicion légitime du tribunal. En matière pénal : 662 et 668 cpp.

B- L’explication rationnelle de sa décision

Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans sa décision n° 14-85118, elle a le devoir de vérifier que le juge du fond a bien appliqué le droit aux faits énoncés par les parties. Dans son avis n° 11 en 2008, le Conseil Consultatif des juges européens explique que « la motivation permet non seulement une meilleure compréhension et acceptation de la décision par le justiciable mais elle est surtout une garantie contre l’arbitraire. D’une part, elle oblige le juge à rencontrer les moyens de défense des parties et à préciser les éléments qui justifient sa décision et rendent celle-ci conforme à la loi et, d’autre part, elle permet une compréhension du fonctionnement de la justice par la société ».

C’est pourquoi, l’art 485 al 1 prévoit que « Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Les motifs constituent la base de la décision ». C’est au visa de l’art 593 cpp que les juge du droit vont casser l’arrêt de la Cour d’appel concernant l’affaire du Directeur de publication « Les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ». Insuffisance équivaut à absence de motivation et en conséquence nullité.

II- L’ABSENCE DE LIEN ENTRE LE FAIT IMPUTE ET LA FONCTION DE MAIRE

L’art 29 de la loi du 29 juillet 1881 émet une distinction entre la diffamation et l’injure. Le particulier contestait la qualification de diffamation à certains propos tenus.

A- La distinction entre diffamation et injure

En vertu de l’art 29 de la loi du 29 juillet 1881 modifié « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation »

« La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes du discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».

Art 29 al 2 « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».

Pour le justiciable les termes assassin, incendiaire, voleurs... et crapule…entraient les uns dans le champ de la diffamation et pour les autres dans le champ de l’injure comme toute expression outrageante, invective.

alors que toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait précis est une injure ; qu'en l'espèce, n'a pas légalement justifié sa décision la cour d'appel qui s'est bornée à considérer que « les termes "assassin, incendiaire, voleurs" porteurs de l'imputation d'une infraction pénale ont manifestement un caractère diffamatoire en ce qu'ils portent atteinte à l'honneur et à la considération de la personne qu'ils visent » et « que les termes injurieux, « crapule », « merde », « sous-merdes », qui ne peuvent se comprendre qu'au regard des propos diffamatoires précités, se rattachent indivisiblement à l'imputation diffamatoire et qu'en conséquence, le délit d'injure est absorbé dans celui de diffamation 

Le fait imputé ou allégué, critère de distinction de la diffamation et de l’injure.

B- Le lien entre les faits imputés et la fonction de Maire

Art 30 et 31 « la diffamation commise par l'un des moyens énoncés en l'article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d'une amende de 45 000 euros » « Sera punie de la même peine, la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique ».

Alors que l’art 32 prévoit que « La diffamation commise envers les particuliers par l'un des moyens énoncés en l'article 23 sera punie d'une amende de 12000 euros »

Pour l’injure : Art 33 « L'injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d'une amende de 12 000 euros.

L'injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu'elle n'aura pas été précédée de provocations, sera punie d'une amende de 12 000 euros ».

 

Tag(s) : #Pénal
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