Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Rédigé le 1° décembre 2011 - Actualisé

A l’étude d’un arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation, du 23 juin 2011 (n°10-15.811), il s’agit de discuter sur la responsabilité de la SNCF en matière de transport de passagers et les critères de force majeure pour exclure la responsabilité du transporteur.

Un arrêt de la deuxième chambre civile du 3 mars 2016 permet de s'interroger sur l'influence de la faute de la victime sur la responsabilité de l'auteur du dommage et sur le montant de son droit à réparation (Cass 2civ 3 mars 2016 n° 15-12217).

Pour le premier cas :

M X contracte avec la SNCF pour se déplacer. Un autre voyageur, MZ, sans titre de transport, l’agresse mortellement. Sa mère Mme T assigne le transporteur en réparation de son préjudice pour manquement à son obligation de sécurité de résultat de conduire les voyageurs sains et saufs à destination. La SNCF se défend en invoquant la force majeure.

Dans un arrêt du 5 janvier 2010, la cour d’appel retient les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité nécessaires à la qualification de force majeure. Sa mère forme un pourvoi.

La question  posée à la Haute cour : l'obligation de sécurité résultat et l'agression par un tiers du voyageur victime.

Le pourvoi formé par la plaignante sera rejeté. Les juges du fond ont déduit « en bon droit que l’agression commise par MY présentait pour la SNCF un caractère imprévisible et irrésistible ».

Pour le second cas :

M Y descend du train à la gare d'arrivée. Il se dirige vers la sortie. Il s'aperçoit qu'il a oublié un bagage. Il tente de remonter dans le train en train de démarrer. Il chute et se blesse. Le voyageur assigne la SNCF en responsabilité sur le fondement de l'art 1384 du code civil (devenu 1242).

La Cour d'appel accueil favorablement la demande et déclare le transporteur seul et entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident tout en reconnaissant que la victime a "commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse". 

Le transporteur forme un pourvoir. Il estime que "le gardien d'une chose ayant joué un rôle actif dans la réalisation du dommage est exonéré de sa responsabilité de plein droit lorsque le dommage résulte de la faute exclusive de la victime qui revêt les caractères de la force majeure".

La Haute juridiction rejette cette cause d'exonération de la SNCF au motif :

  • Il y a bien une manoeuvre interdite et dangereuse de la part du voyageur

Toutefois, elle n'est ni imprévisible ni irrésistible :

  • la SNCF étant régulièrement confrontée à ce type de comportement
  • des moyens peuvent permettre d'empêcher les passagers de remonter dans le train comme la présence d'agents sur le quai "ce qui n'était pas le cas le jour de l'accident" ou la mise en place de systèmes différents de fermeture des portes

La juridiction sanctionne le comportement de la victime, qui bien que ne présentant pas les caractères de la force majeure, est une atteinte au principe de la réparation intégrale du préjudice.

Par conséquent, la responsabilité de la SNCF peut être retenue pour manquement à son obligation de sécurité résultat. Elle peut s’en exonérer totalement en prouvant le cas de force majeure, en invoquant le fait d’un tiers. Le comportement fautif de la victime peut l'exonérer partiellement au même titre que le fait d'un tiers (Cass 2civ 8 février 2018 n°17-10.516).

I-                 L’obligation de sécurité résultat du transporteur de voyageurs

En vertu d’une jurisprudence, l’exécution du contrat de transport comporte l’obligation de conduire sain et sauf le voyageur à sa destination. La mère du défunt demande réparation en se prévalant d’une stipulation pour autrui.

A-    L’intérêt à agir et la qualité du demandeur en réparation du préjudice commis sur le voyageur par le biais de la stipulation pour autrui.

L’article 1165 du code civil consacre le principe de l’effet relatif des conventions : "Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121".

1-     L'exécution du contrat de transport 

MX et M Y ont passé contrat avec la SNCF. En vertu de l’article 1165 cc, les conventions légalement formées ne produisent aucun effet à l’égard des tiers. 

Soulignons deux articles issus de l'ordonnance du 10 février 2010 :

  • L'article 1169 exclut toute contrepartie illusoire ou dérisoire des contrats à titre onéreux. 
  • L'article 1170 sanctionne toute clause qui priverait de sa substance l'obligation essentielle du débiteur : est réputée non écrite (voir jurisprudence Chronopost).

Pour MY, l'accident s'est produit postérieurement à l'exécution du contrat de transport. 

Au visa des articles 1147 (art 1232-1) et 1384 al 1° (art 1243) la première chambre civile de la Cour de cassation casse un arrêt de la Cour d'appel qui avait retenu la responsabilité contractuelle de la SNCF au motif "qu'il importe peu à la solution du litige que celui-ci se soit trompé de rame car, titulaire d'un abonnement régulier, il avait bien souscrit un contrat de transport avec la SNCF".

Or, juge la Haute Cour "tout en constatant que l'accident n'était pas survenu dans l'exécution du contrat convenu entre les parties", la cour d'appel a violé les textes susvisés (Cass 1civ 1° décembre 2011 n° 10-19090)..

Le contrat peut engendrer une situation de fait opposable aux tiers. Cette opposabilité permet d’en obtenir la sanction juridique dans l’hypothèse d’un manquement à une obligation et défaillance du contractant. C’est dans ce cadre juridique que la mère de MX va se prévaloir d’une stipulation pour autrui implicite, exception aux termes de l’article 1165 du code civil mais consacré par l’article 1121.

La réforme a réitéré l'effet relatif du contrat à l'article 1199 du code civil. L'article 1121 est repris au sein de deux articles :

  • 1205 : création d'un régime légal de la stipulation pour autrui
  • 1206 : consécration de la faculté de révoquer la stipulation pour autrui.

2-     La stipulation pour autrui : extension du droit à l’indemnisation de tiers victime de l’inexécution contractuelle

Dans le rapport entre les parties contractantes, en principe, seule peut être invoquée une faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un engagement contractuel.

En ce qui concerne les tiers étrangers au contrat, les dispositions des articles 1382 (art 1240) et 1383 (art 1241) du code civil visent à s’appliquer, fondement délictuel.

La stipulation pour autrui est un contrat aux termes duquel une des parties, appelée stipulant, convient avec une autre, dénommée promettant, que ce dernier, exécutera une prestation au profit du tiers, appelé le tiers bénéficiaire. Le contrat d’assurance vie est l’exemple type de la stipulation pour autrui. En effet, par cette convention, une personne (le stipulant) contracte auprès d’une compagnie d’assurance (le promettant) et s’engage à payer régulièrement des primes. En contrepartie de ces versements et au décès du stipulant, l’assureur s’engage à verser le capital ainsi constitué à un tiers bénéficiaire. A la différence de l’arrêt étudié, la stipulation pour autrui est explicite, le tiers bénéficiaire est connu, prévu contrairement à la situation discutée. En l’espèce, il s’agit d’une stipulation pour autrui implicite par présomption au vu des qualités de la demanderesse au procès.

Deux exemples de jurisprudence éclairent les conditions de la stipulation implicite « Le voyageur victime d’un accident mortel est présumé avoir stipulé, en ce qui concerne la réparation du dommage causé, au profit des personnes envers lesquelles il était tenu du devoir d’assistance en vertu d’un lien légal ; mais une telle présomption ne saurait être étendue au cas où une obligation alimentaire ne peut être invoquée ». Civ 1ère 15 fev 1955.

« Mais il n’y a pas stipulation pour autrui implicite au titre du contrat de transport de voyage pour les victimes par ricochet, dès lors qu’elles ne sont pas ayant-causes des personnes décédées, n’agissant en qualité ni de cessionnaires, ni d’héritiers » Civ 1ère 28 oct 2003.

Mme Z possédait bien un lien légal avec la victime : la parenté « mère ».

B-     Responsabilité contractuelle de conduire le voyageur sain et sauf à destination

Cette responsabilité peut s’analyser comme une obligation accessoire à l’obligation de déplacement à la charge du transporteur.

1-     Obligation principale : le déplacement du voyageur

Le contrat passé entre le voyageur et la SNCF a pour objet et finalité de conduire le premier à destination. Il s’agit d’une obligation de déplacement.

Le voyageur contracte pour une opération de déplacement moyennant un prix. C’est pourquoi, le transporteur doit assurer sa sécurité au moyen du matériel utilisé.

Au sein de l'arrêt du 22 octobre 1996 "Chronopost", il est précisé que toute clause qui contredirait la portée de l'engagement devra être réputée non écrite. Jurisprudence reprise par la réforme.

La partie lésée peut dès lors agir en responsabilité contractuelle. La nullité anéantirait le contrat.

2-     Obligation accessoire : la sécurité du voyageur

Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 1911 (cie Générale Transatlantique), la jurisprudence énonce que « l’exécution du contrat de transport comporte pour le voiturier l’obligation contractuelle de conduire le voyageur sain et sauf à destination ».

Il s’agit d’une obligation contractuelle de sécurité définie par les articles 1147 et 1148 du code civil. Plus précisément, d’une obligation de résultat. Il y a donc présomption de responsabilité à la charge de la SNCF.

Dans un arrêt du 28 nov 2008 (n°06-12.307), la Cour de cassation a confirmé la condamnation en appel de la SNCF à la suite d’un accident sur une rame de TER. Un adolescent de 15 ans avait actionné la porte de sortie de  la voiture alors que le train était en marche en exerçant des acrobaties sur la barre de maintien située sur le marchepied du train. Il tomba mortellement sur la voie ferrée.

Mise en cause par les ayant-droits de la victime, la SNCF a été condamnée à leur verser des dommages-intérêts. Malgré sa défense arguant du comportement aberrant d’un voyageur qui refuse de respecter les consignes de sécurité de la SNCF s’exposant lui-même au danger. Pour les Hauts magistrats « le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d’une obligation de sécurité résultat, ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la faute d’imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu’en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure ».

Par conséquent, en cas d’accident corporel, comme en l’espèce, elle est présumée responsable et ne peut s’en dégager qu’en prouvant que l’accident est dû à une cause étrangère qui ne peut lui être imputée : cas fortuit et force majeure, faute d’un tiers sous certaines conditions.

 

II-               L’exonération de la responsabilité de la SNCF

Présumée responsable, la SNCF doit prouver l’existence d’une cause étrangère pour s’exonérer.

L’agression mortelle subie par MX est le fait d’un tiers, assimilable à un cas de force majeure, selon les juges du fond approuvés par la Cour de cassation. Par contre, bien que l'accident de M Y ne répond pas aux critères de la force majeure, sa faute exonérera partiellement le transporteur.

A-    Par la force majeure

Afin de se défendre, la SNCF invoqua à son appui l’article 1148 du code civil (art 1218) pour être exonérée de tous dommages.

1-     Définition

Le cas de force majeure s’entend des évènements qui rendent l’exécution de l’obligation impossible. La preuve d’un évènement de force majeure entraîne l’exonération totale du débiteur. A la lecture de l’arrêt de la 1ère civ du 9 oct 1991 (sous art 1148 n°25), l’exonération partielle est possible du fait de la victime « La faute de la victime, si elle ne constitue pas la cause unique du dommage, ne peut totalement exonérer de sa responsabilité le fabricant d’un appareil dont le défaut de conception et de fabrication rendait l’utilisation dangereuse ».

Or, dans un arrêt du 13 mars 2008 (n° 05-12551) concernant un contrat de transport SNCF, la Cour de cassation n’a pas mis en application l’exonération partielle du fait de la faute de la victime. Elle a affirmé «  le transporteur tenu d'une obligation de sécurité de résultat envers un voyageur ne peut s'en exonérer partiellement et que la faute de la victime, à condition de présenter le caractère de la force majeure, ne peut jamais emporter qu'exonération totale ».

Ce qui peut laisser croire que dans les contrats de transport de voyageurs,  soit cette faute présente le caractère de la force majeure et la SNCF est totalement exonéré, soit il est totalement responsable.  Voir également jurisprudence du 28 nov 2008 relatée plus haut.

Dans l’arrêt du 23 juin 2011, Mme T est débouté de sa prétention au motif que l’agression commise présentait pour la SNCF un caractère imprévisible et irrésistible.

Pour le rendu de l'arrêt du 3 mars 2016, les juges considèrent que le comportement fautif est régulier. Cette régularité emporte une obligation pour le transporteur de faire le nécessaire pour y palier. Le cas d'exonération totale pour force majeure est exclu. 

2-     Preuve : les conditions d’existence de la force majeure

Selon la jurisprudence, le cas de force majeure est constitué si trois conditions sont remplies : imprévisible, irrésistible et  extérieur. L’arrêt du 28 janvier 2008 précité illustre ces critères.

Les Hauts magistrats n’ont pas retenu ces critères exonératoires. La responsabilité de la SNCF s’est fondée sur les éléments suivants  :  

  • le véhicule, conçu avant 1970, ne disposait d’aucun mécanisme de sécurité empêchant l’ouverture du train en marche.
  • Le train était fréquenté par des enfants et par des adolescents,

L’accident était donc prévisible, un nombre de contrôleurs suffisants « à même d'intervenir dans tout le train sans se heurter comme en l'espèce au blocage des portes de communication » aurait pu prévenir le danger ainsi qu’un système approprié de sécurité des portes.

De même, un arrêt de cassation, ch plén du 14 avril 2006 « Est constitutive d’un cas de force majeure la maladie du débiteur, dès lors qu’elle a présenté un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution » Cass ass plén 14 avril 2006.

Imprévisibilité : Absence d’exonération de la SNCF à la suite d’un attentat rendu prévisible par un billet anonyme, Civ 1re 26 janv 1971.

Lors du pourvoi, le transporteur estimait que le "gardien d'une chose ayant joué un rôle actif dans la réalisation du dommage est exonéré de sa responsabilité de plein droit lorsque le dommage résulte de la faute exclusive de la victime qui revêt les caractères de la force majeure".

Il déduisait la force majeure :

  • Tentative de monter dans un train en marche pour récupérer des affaires oubliées
  • Invisibilité de la présence de personnes sur le quai.
  • Faute de la victime : clause exclusive du dommage revêtant les caractères de la force majeure.

Analyse rejeté par la plus haute juridiction judiciaire pour les mêmes motifs "sécuritaires" que l'arrêt de 2011.

B-     Par la faute d’un tiers : assimilable au cas de force majeure

L’agression commise par MZ présentait pour la SNCF un caractère imprévisible et irrésistible. Toutefois, cette qualification n’a pas été retenue dans deux arrêts.

1-     Caractère imprévisible et irrésistible de l’agression : soudaineté du geste irrationnel

Les risques que le transporteur doit assumer sont ceux dont il a la maîtrise. Or, une agression ne constitue pas un risque afférent au transport. Comment prévoir et empêcher un geste irrationnel d’un passager ? En l’espèce ce dernier était sans titre de transport. Ce qui ne changea rien à la décision rendue. MY « s’étant soudainement approché de MX et l’avait poignardé sans avoir fait précéder son geste de la moindre parole ou de la manifestation d’une agitation anormale ». Caractère imprévisible et irrésistible par la soudaineté du geste. Il en fut autrement dans d’autres affaires.

2-     Caractère non imprévisible et irrésistible de l’agression : attitude anormale ou dispositions de sécurité insuffisantes

Dans un arrêt de cass du 12 dec 2000 (SNCF/Peyronnaud), lors d’un transport Marseille Paris, un voyageur est agressé et blessé par un autre. Le pourvoi de la SNCF est rejeté aux motifs « que l’agression avait été commise par un voyageur démuni d’un titre de transport et en état d’ébriété…la SNCF n’établissait pas que des rondes avaient été effectuées par les contrôleurs pour assurer la sécurité des voyageurs et qu’au moment des faits l’agresseur avait été contrôlé ». Exonération rejetée.

De même, dans un arrêt de cass 1re civ du 21 nov 2006, le cas de force majeure n’a pas été retenu au sujet d’un meurtre commis fin 1999 par « le tueur des trains », d’une jeune femme qui voyageait dans un compartiment couchette. Le caractère irrésistible n’avait pas été, car l’agression ne se serait pas produite si le tueur n’était pas parvenu à déverrouiller la porte du wagon couchette. La SNCF n’avait pas pris les dispositions suffisantes pour faire réellement obstacle à tout accès aux voitures couchettes par les autres voyageurs.

En fin de compte, l’imprévisibilité et l’irresistibilité doivent être appréciés in concreto, non in abstracto, compte tenu des faits de la cause à l’échelle humaine.

Cass 2civ 8 février 2018 n° 17-10.516 : Agression mortelle dans le RER exonération force majeure pour la SNCF

"l’agresseur de Valéry X... souffrait de schizophrénie et entendait des voix, qu’aucune altercation n’avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas, qu’un laps de temps très court s’était écoulé entre le début de l’agression et la collision avec le train, que l’enquête pénale avait conclu à un homicide volontaire et à un suicide et qu’aucune mesure de surveillance ni aucune installation n’aurait permis de prévenir ou d’empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l’ampleur des travaux et du fait que la SNCF n’était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour, la cour d’appel, sans inverser la charge de la preuve, a pu décider que le fait du tiers avait présenté pour cette dernière un caractère irrésistible et imprévisible pour en déduire, à bon droit, l’existence d’un cas de force majeure".

 

Tag(s) : #Consommation
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :