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Cass crim 21 nov 2017 n° 17-81591

Cet arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation est l'occasion de revoir les conditions de l'accès à l'aide juridictionnelle mais aussi du droit à l'assistance d'un avocat en procédure pénale.

En l'espèce M X fait appel du jugement l'ayant condamné pour contraventions de violences à des amendes de 600 et 300 €. Le tribunal de première instance s'est aussi prononcé a aussi sur les intérêts civils.

Par un arrêt du 10 octobre 2016, la Cour d'appel confirme la condamnation.

Or, l'appelant a formé le 9 mai 2016 une demande d'aide juridictionnelle.

A l'audience du 5 septembre 2016 à laquelle son affaire est appelée, il n'était ni comparant, ni représenté.

L'arrêt des juges du fond est désapprouvé au visa des articles 25 de la loi du 10 juillet 1991 et 6 §1 de la CESDH.

Les Hauts magistrats de l'ordre judiciaire rappellent que :

"toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et qu'aux termes du premier, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat ; que cette assistance doit constituer un droit concret et effectif".

Ils concluent :

"Mais attendu qu'en cet état, alors que M. X... avait sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle avant l'audience des débats, peu important que la cour d'appel en ait ou non été avisée, l'arrêt encourt la censure".

L'article l de la Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 énonce que :

"L'accès à la justice et au droit est assuré dans les conditions prévues par la présente loi.

L'aide juridique comprend l'aide juridictionnelle, l'aide à l'accès au droit et l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles".

M X avait sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle pour pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat peu importe que la Cour d'appel ait été ou non avertie.

I- Le bénéfice de l'aide juridictionnelle

Les Lois des 16 et 24 août 1790 sur l'organisation judiciaire énoncent que "La vénalité des offices de judicature est abolie pour toujours ; les juges rendront gratuitement la justice, et seront salariés par l’État" article 2. 

Au lendemain de la décision du Conseil d'Etat rendue sur QPC au sujet du statut des magistrats du parquet, il nous apparaît agréable de nous rappeler que l'article 3 prévoient que "Les juges seront élus par les justiciables".

Ceci étant souligné, revenons à l'étude de  notre sujet.

Malgré le principe de gratuité, le justiciable est confronté à certaines charges financières afin de faire valoir ses droits (honoraires avocat, dépens, émoluments des auxiliaires de justice...). Celles-ci peuvent entraver leur droit à l'accès à la justice, à un tribunal. 

C'est pourquoi, un système d'aide juridictionnelle est constitué dans lequel l'Etat prend à sa charge ces frais de procédure sous conditions.

A- Les conditions de l'accès

1- Les personnes titulaires de ce droit

Les articles 2 et 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 parlent de 

  • Personnes physiques de nationalité française, les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne et de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement en France,
  • Sans condition de résidence aux étrangers lorsqu'ils sont mineurs, témoins assistés, mis en examen, prévenus, accusés, condamnés ou parties civiles, lorsqu'ils bénéficient d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil ou lorsqu'ils font l'objet de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
  • Personnes faisant l’objet de l’une des procédures prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. 
  • Personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France, aux syndicats de copropriétaires d'immeubles soumis à la loi n° 65-557 faisant l'objet de procédure témoignant de difficultés financières.

L'aide juridictionnelle n'est pas accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont pris en charge au titre d'un contrat d'assurance de protection juridique ou d'un système de protection.

2- Les ressources 

L'article 2 précise que les ressources doivent être insuffisantes pour faire valoir ses droits. Cette aide pouvant être totale ou partielle.

L'article 4 établit que le demandeur doit justifier pour l'année 2016 de ressources mensuelles inférieure à 1 000 € pour l'aide totale ou 1 500 € pour l'aide partielle.

Ressources affectés d'un correctif pour charges de famille. L'article 3 du décret n° 91-1266 prévoit une majoration du plafond des ressources  : 

- 0,18 fois le montant du plafond de ressources pris en compte pour le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale pour chacune des deux premières personnes à charge ;
- 0,1137 fois ce même montant pour la troisième personne à charge et chacune des suivantes.

En cas d’admission partielle, une partie des frais reste à charge. Fixée par le décret article 98, cette partie est indiquée dans la décision d’aide juridictionnelle et elle est inversement proportionnelle aux ressources.

Souligner par l'article 5 du Décret :

L'aide juridictionnelle ne prend pas en charge les frais couverts par un contrat d'assurance de protection juridique ou un autre système de protection mentionnés à l'article 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Le cas échéant, la part des frais ainsi couverts vient en déduction des sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

B- Les effets de la demande

1- Sur le déroulement de l'instance

  • La juridiction tenue se surseoir à statuer 

L'article 43-1 du Décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle dispose que :

Sans préjudice de l'application des dispositions relatives à l'admission provisoire, la juridiction avisée du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle est tenue de surseoir à statuer dans l'attente de la décision statuant sur cette demande.
Il en est de même lorsqu'elle est saisie d'une telle demande, qu'elle transmet sans délai au bureau d'aide juridictionnelle compétent.
Les dispositions des alinéas précédents ne sont pas applicables en cas d'irrecevabilité manifeste de l'action du demandeur à l'aide, insusceptible d'être couverte en cours d'instance.

Cass 2civ 18 janv 2007 n° 06-10294 :

Encourt la cassation l'arrêt d'une cour d'appel qui, alors que l'appelant avait sollicité, avant la date d'audience, l'attribution de l'aide juridictionnelle et présenté une demande tendant au renvoi de l'affaire, statue sur l'appel dont elle était saisie sans attendre la décision du bureau d'aide juridictionnelle.

  • Un effet interruptif sur les délais d'action et de péremption

Pour le premier degré :

CE, 17 juin 2015, Président du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, n° 383443 :

"Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Marseille que M. B...s'est vu accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille du 20 août 2012. Par suite, en se bornant à relever que la décision contestée avait été notifiée de façon régulière à M. B...le 6 mars 2012 et que celui-ci avait introduit sa requête le 19 octobre 2012, soit après l'expiration du délai de deux mois imparti par l'article R. 421-1 du code de justice administrative, sans rechercher si le délai de recours avait été interrompu par sa demande d'aide juridictionnelle, le président de la première chambre du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit".

Pour le second degré (qui nous concerne) :

Jusqu'au Décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, l’article 38 du décret n°91-1266  impliquait que la demande d’aide juridique n’interrompait pas le délai d’appel. 

L’article 38-1 aujourd'hui abrogé précisait : Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article 39, la demande d'aide juridictionnelle n'interrompt pas le délai d'appel.

Depuis le Décret n° 2016-1876, l’article 38 modifié énonce :

Lorsqu’une action en justice ou un recours doit être intenté avant l’expiration d’un délai devant les juridictions de première instance ou d’appel, l’action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter".

Seul le délai d’appel est interrompu par la demande d’aide juridictionnelle. Ce qui emporte censure de l'arrêt du 10 octobre 2016.

2- Le droit de recours

L'article 23 de la loi n° 91-647 et les articles 56 à 60 du décret n° 91-1266 (section IV) prévoient que le justiciable droit recourir dans les 15 jours qui suivent la notification :

  • du refus pur et simple de l'aide juridictionnelle ;
  • de l'attribution de l'aide partielle alors que l'aide totale était souhaitée

auprès du bureau de l'aide juridictionnelle du TGI.

Un recours auprès du premier président de la Cour de cassation ou de son délégué : 

  • lorsque votre demande a été rejetée parce que vos ressources étaient supérieures aux plafonds légaux, en donnant des éléments nouveaux

ou 

  • parce qu’elle a été déclarée irrecevable ou rejetée parce qu’il n’existe pas de motif sérieux de cassation de la décision attaquée, qu’invoquent les moyens de droit à l’appui du recours.

Ce soutien a la défense de ses prétentions pour origine la loi du 22 janvier 1851 qui crée l'assistance judiciaire : la gratuité de la défense des démunis n'est plus consentie mais obligatoire.

II- Le bénéfice de l'intervention de l'avocat

Rappelons l'origine de l'Avocat.

Au Moyen Age, les défenseurs et plaideurs étaient des ecclésiastiques. Ils professaient en soutane.

Dès 802, un Capitulaire de Charlemagne fait mention des Avocats dès 802 .Le premier serment L'ordonnance du 12 octobre 1274 de Philippe III Le Hardi impose de prêter serment.

Un arrêt de règlement du Parlement de Paris fixe le premier statut de la profession. Il instaure le monopole de la plaidoirie qui sera au cours des siècles remis en cause.

L'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539 pose le principe, qui perdurera jusqu'à la Révolution, selon lequel l'inculpé est privé de défenseur lors de l'instruction et à l'audience. La torture devient la règle. Il faudra attendre le décret du 8 octobre 1789 qui abolit le supplice pour autoriser la présence muette de l'Avocat pendant l'instruction et la plaidoirie à l'audience.

La Révolution vote la loi 16 août - 2 septembre 1790 qui supprime l'Ordre corollaire de la loi Le Chapelier interdisant les corporations promulguée le 14 juin 1791. 

La barre devient accessible à tous.

En dépit de la suppression de leur profession, les "Avocats du Marais" maintiennent la profession malgré sa disparition et seront présents devant les Tribunaux Révolutionnaires.

En 1802, les Avocats sont rétablis, puis l'Ordre en 1810. Ils ont une "mission" : la défense des intérêts d’autrui en toute indépendance.

Ce qui traduirait dans une premier temps la contradiction avec "La république des Avocats" de 1875 mais aussi d'aujourd'hui : de nombreux présidents de la République, ministres, députés sont avocats ou le seront à leur sortie.

Ce qui traduirait dans un second temps la conformité avec ses origines issues de la Rome Impériale :

"Souvent j’ai plaidé, souvent j’ai jugé, souvent j’ai participé aux conseils" Pline le Jeune (né en 61 ou 62 après J.C. Il vécut ainsi sous les règnes de cinq empereurs successifs : Vespasien, Titus, Domitien, Nerva et Trajan) 

En dépit des réticences des avocats, la loi du 1° décembre 1900 autorise la femme à exercer cette mission.

Leur serment "Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité". Ils se doivent dès lors d'être associés aux bénéficiaires de l'aide jurictionnelle.

A- Pour le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle

1- Le droit à un procès équitable au niveau européen en matière pénale pour le prévenu

Dans son arrêt de chambre du 9 avril 2015 rendu dans l'affaire AT c Luxembourg req n° 30460/13, la Cour européenne des droits de l'homme précise la portée du droit à l’assistance effective d’un avocat au cours d’une procédure pénale.

L’affaire concerne l’absence d’assistance effective d’un avocat auprès A.T, un ressortissant britannique incarcéré au centre pénitentiaire de Luxembourg.

Arrêté sur la base d’un mandat d’arrêt européen, il se plaint de l'absence du conseiller juridique durant l’audition par la police puis durant le premier interrogatoire devant le juge d’instruction.

La Cour EDH de Strasbourg conclut à la :

  • Violation de l’article 6 § 3 c) (droit à l’assistance d’un avocat) de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) en raison du défaut d’assistance d’un avocat lors de l’audition par la police,

Bien que les dispositions légales alors en vigueur excluaient implicitement l’assistance d’un avocat pour les personnes arrêtées en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis par le Luxembourg, dans la mesure où le juge interne n’a pas réparé les conséquences de ce défaut d’assistance en excluant de son raisonnement les déclarations recueillies pendant cette audition, la Cour conclut sur ce point à une violation de l’article 6.

  • Non-violation de l’article 6 § 3 c) combiné avec l’article 6 § 1 quant au défaut d’accès au dossier avant le premier interrogatoire devant le juge d’instruction,

L’absence d’accès au dossier avant cet interrogatoire n’a pas constitué une violation de l’article 6, ledit article ne garantissant pas un droit illimité d’accès au dossier dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction. 

  • Violation de l’article 6 § 3 c) combiné avec l’article 6 § 1 en raison de l’absence de communication entre le requérant et son avocat avant le premier interrogatoire devant le juge d’instruction.

La possibilité pour le requérant de consulter son avocat avant cet interrogatoire n’était pas garantie de manière suffisante par le droit luxembourgeois.

Pour autant qu’A.T. n’a pu s’entretenir avec son avocat avant l’interrogatoire litigieux, la Cour conclut donc à la violation de l’article 6.

2- Le droit à un procès équitable au niveau national en matière pénale pour la partie civile

La Cour de cassation insiste sur l'importance du principe établi par l'article 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 qui affirme que "Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours".

 Cass crim 22 mars 2017 n° 16-83928 :

"Il résulte des dispositions de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme que le droit de la partie civile à l'assistance d'un défenseur doit être concret et effectif. Doit, en conséquence, être cassé l'arrêt de confirmation d'une ordonnance de refus d'informer rendu par une chambre de l'instruction qui, après que l'avocat chargé d'assister la partie civile, admise au bénéfice de l'aide juridique se fut refusé à prêter son concours, a retenu l'affaire sans s'assurer de ce que la partie civile avait renoncé de manière non équivoque à bénéficier de l'assistance d'un défenseur au cours de l'audience"

B- En l'absence de jugement du recours contre la décision de rejet de l'aide juridictionnelle

Cass 2civ 16 mai 2012 n° 11-14449

Des poursuites de saisie immobilière sont engagées par une banque à l'encontre de Mme X. Cette dernière sollicite le renvoie de l'audience d'orientation en raison d'une demande d'aide juridictionnelle.

Le 15 septembre 2010, elle informe le juge de l'exécution près à l'audience de renvoi de son recours contre la décision de rejet de sa demande auprès du bureau d'aide juridictionnelle.

Le 29 septembre suivant, Mme X ne comparait pas. Par jugement du 27 octobre 2010, le juge de l'exécution ordonne la vente forcée du bien, fixe la créance de la banque et la date de l'audience d'adjudication.

Le 16 décembre 2010, le recours formé contre le rejet de sa demande d'aide juridictionnelle est rejeté.

Elle fait appel du jugement pour violation de son droit à l'assistance d'un avocat au titre de l'aide juridictionnelle.

Le 3 mars 2011, la Cour d'appel rend un arrêt confirmatif et rejette la nullité du jugement de première instance au motif que :

  • le juge de l’exécution a fait une exacte application des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 en énonçant que les ressources de la demanderesse excédaient le plafond fixé par la loi pour accorder cette aide et qu’il appartenait à Mme X…, qui était parfaitement informée de la décision du bureau d’aide juridictionnelle, de comparaître personnellement à l’audience du 29 septembre ou de s’y faire représenter par l’avocat de son choix, de sorte qu’en retenant l’affaire, en l’absence de celle-ci, le juge n’avait pas porté atteinte au droit à un procès équitable.

Mme X se pourvoit en cassation.

Pour sa défense, la banque soutient que le moyen tiré de la nullité de la décision de première instance est irrecevable dès lors que, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, la Cour d'appel devait statuer sur le fond du litige.

La Haute juridiction judiciaire explique que

  • "dès lors qu'en matière de saisie, ne sont déférées à la connaissance de la Cour d'appel que les contestations qui auront été présentées, devant le juge de l'exécution, par l'intermédiaire d'un avocat" Mme X est recevable à contester le rejet de sa demande d'annulation du jugement de première instance pour violation de son droit à l'assistance d'un avocat.

Au visa de l’article 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l’aide juridique, ensemble l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elle poursuit : 

  • Attendu que le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a droit à l’assistance d’un avocat ;
  • Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait qu’au jour où le premier juge avait statué, le recours formé par Mme X… contre la décision de rejet de sa demande d’aide juridictionnelle n’avait pas été jugé, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

 

Tag(s) : #Droit pénal, #Droits libertés fondamentaux
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