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La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale institue le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes.

Par sa décision du 10 février 2017, le Conseil constitutionnel déclare cette disposition contraire à la Constitution. (n° 2016-611).

Relevons que trois jours plus tard, le président de la Commission des lois du Sénat, P. Bas, a obtenu le rétablissement de ce délit dans le cadre de la réunion du lundi 13 février pour l'examen de la loi sur la légitime défense.

Pour la petite histoire, dans une autre affaire, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel met en demeure la société L.A.B, éditrice du service de respecter son obligation de ne pas porter atteinte à la sauvegarde de l'ordre public.

En effet, le 9 janvier 2015, alors que des actions terroristes étaient en cours, le média diffusait simultanément des informations relatives à l'assaut des forces de l'ordre contre des terroristes retranchés, avant qu'un autre terroriste dans un magasin ne soit mis  hors d'état de nuire.

Pour l'autorité de régulation de l'audiovisuel, cette couverture médiatique avait mis en péril la vie des otages du magasin. La société se devait de respecter les règles élémentaires de prudence permettant d'assurer le maintien de la sécurité publique et la sauvegarde de l'ordre public conformément à l'art 1° de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

La société L.A.B saisit la juridiction administrative pour faire annuler pour excès de pouvoir la décision de mise en demeure de respecter, à l'avenir les dispositions de la loi précitée.

Dans sa décision du 10 février 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a estimé que le CSA n'avait commis aucune erreur de droit (n° 391088).

Pour revenir à la décision du Conseil constitutionnel, il s'agissait d'analyser une disposition qui réprime en amont de la perpétration d'une incrimination. Devant l'incertitude liée au flou de la disposition, l'atteinte à la liberté de communication est donc confirmée.

I- La répression antérieure à la perpétration d'une action terroriste

A- En amont de la commission de l'acte terroriste : un élément matériel virtuel

1- L'action terroriste

Comme le soulève le Conseil constitutionnel,, le législateur a mis en place tout un arsenal pour faire face au terrorisme.

L'art 421-1 du code pénal sanctionne toutes atteintes à la vie ou à l'intégrité de la personne, les atteintes aux biens (vols, destructions, dégradations, détériorations...), les infractions en matière de groupes de combat, en matière d'armes, le recel de leur produit "lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur".

Il en est de même pour "le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel" art 421-2 cp.

La loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 introduira sa répression par association de malfaiteurs (art 421-2-1)

Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne introduira l'art 421-2-2 pour sanctionner le financement d'une entreprise terroriste

Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure complètera en créant l'art 421-2-3 qui dispose que "Le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à l'un ou plusieurs des actes visés aux articles 421-1 à 421-2-2, est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende".

LOI n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme crée l'art 421-2-4 qui prévoit que "Le fait d'adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d'exercer sur elle des pressions afin qu'elle participe à un groupement ou une entente prévu à l'article 421-2-1 ou qu'elle commette un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 est puni, même lorsqu'il n'a pas été suivi d'effet, de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende".

Quant aux articles 421-2-5 et 421-2-6 ils sont issus de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. ils punissent le fait de provoquer ou de faire publiquement l'apologie ou de préparer la commission des actes réprimés.de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.

L'infraction matérielle suppose la réalisation d'un résultat (ex : meurtre).

2- La prévention de l'action terroriste

L'art 18 de la loi n° 2016-731 insère l'article  421-2-5-2 au sein du code pénal

« Art. 421-2-5-2.-Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. 
« Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. »

Le fait de consulter un site est-il un acte engendrant une insécurité nationale ? Une infraction formelle ou obstacle ?

L'infraction formelle sanctionne un comportement délictueux indépendant de la survenance d'un résultat (ex : empoisonnement).

L'infraction obstacle est préventive. Elle sanctionne un comportement en raison de sa dangerosité et aucunement en raison d'un trouble à l'ordre public. Pas de résultat dommageable.

Distinction entre ces deux derniers : l’infraction formelle est en relation directe de causalité avec le résultat que la loi veut éviter, ce qui n’est pas le cas pour l’infraction obstacle.

Ex : la corruption de fonctionnaire (formelle : art 435-1 CP) et  l'accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données (obstacle : art. 462-2, al. 1 CP).

B- Assimilation à des actes de terrorisme

1- Pour une procédure exorbitantes du droit commun

L'art 706-16 cpp "Les actes de terrorisme incriminés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, ainsi que les infractions connexes sont poursuivis, instruits et jugés selon les règles du présent code sous réserve des dispositions du présent titre".

Par exemple pour la garde à vue. Rappelons que l'article 62-2 du CPP la définit comme "une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs". 

Cette mesure doit constituer l'unique moyen de parvenir à la recherche de la vérité.

Article 63-3-1 "Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat. Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier".

Art 63 la personne en gardée à vue ne peut être retenue plus de 24h. A titre exceptionnel, la mesure peut être prolongée de 24 h supplémentaires par décision écrite et motivée du procureur de la République. Ce qui ferait 48h.

Dans le domaine du terrorisme, l'art 706-88 cpp énonce que "pour l'application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune. Ce qui ferait 96 h voire 144 h quand une action terroriste est imminente.Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction.

Soulignons d'une part que la personne peut attendre 72 h avant de pouvoir consulter un avocat et d'autre part, la prescription de l'action publique et de la peine en matière de crime de 30 ans et de 20 ans en matière de délit.

En principe la prescription de l'action publique et de la peine en matière de crime est de respectivement  10 ans et 20 ans (art 7 et 133-2). En matière de délit 3 ans et 5 ans (art 8 et 133-3).

C'est ce que rappelle le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 février 2017 :

"Dans le cadre des procédures d'enquêtes relatives à ces infractions, les magistrats et enquêteurs disposent de pouvoirs étendus pour procéder à des mesures d'interception de correspondances émises par voie de communication électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation, de fixation d'images et de captation de données informatiques. Par ailleurs, sauf pour les faits réprimés par l'article 421-2-5 du code pénal, des dispositions procédurales spécifiques en matière de garde à vue et de perquisitions sont applicables".

2- Dans le cadre d'une consultation d'un service de communication au public en ligne

Dans sa requête, objet de la saisine des Sages de la rue Montpensier à Paris, le requérant soutenait que les dispositions contestées méconnaissaient la liberté de communication, le principe de légalité des délits et des peines, celui d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, le principes d'égalité, de proportionnalité et de la présomption d'innocence.

Dans sa décision du 10 février 2017, le Conseil constitutionnel ne statuera que sur le grief tiré de l'atteinte à la liberté de communication.

II- Une atteinte à la liberté de communication

A- La liberté de communication : une condition de la démocratie

1- Principe

Aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".

Comme les juges le soulèvent "En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services".

2- Limite : une atteinte nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi

 Aux termes de l'article 34 de la Constitution : "La loi fixe les règles concernant ... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques".

Sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l'objectif de lutte contre l'incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions, avec l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer.

[...] Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi".

B- Sanction disproportionnée et disposition inintelligible

1- Des outils pré-existant suffisants

Tout en relevant que :

  • "la législation comprend un ensemble d’infractions pénales autres que celle prévue par l’article 421-2-5- 2 du code pénal et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d’actes de terrorisme"
  • "les magistrats et enquêteurs disposent de pouvoirs étendus pour procéder à des mesures d’interception de correspondances émises par voie de communication électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation, de fixation d’images et de captation de données informatiques". 

Le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur a "également conféré à l’autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d’actes de terrorisme.

Ainsi, en application du 4° de l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII de ce même code pour le recueil des renseignements relatifs à la prévention du terrorisme. Ces services peuvent accéder à des données de connexion, procéder à des interceptions de sécurité, sonoriser des lieux et véhicules et capter des images et données informatiques".

2- Un obscurantisme contraire à un Etat de droit

"Dès lors, au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution.

En second lieu, s'agissant des exigences d'adaptation et de proportionnalité requises en matière d'atteinte à la liberté de communication, les dispositions contestées n'imposent pas que l'auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes ni même la preuve que cette consultation s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ces services.

Ces dispositions répriment donc d'une peine de deux ans d'emprisonnement le simple fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, quelle que soit l'intention de l'auteur de la consultation, dès lors que cette consultation ne résulte pas de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, qu'elle n'intervient pas dans le cadre de recherches scientifiques ou qu'elle n'est pas réalisée afin de servir de preuve en justice".

Au sujet de l'alinea 2 de l'article dénoncé "Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice".

Le Conseil estime que "si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation effectuée de « bonne foi », les travaux parlementaires ne permettent pas de déterminer la portée que le législateur a entendu attribuer à cette exemption alors même que l'incrimination instituée, ainsi qu'il vient d'être rappelé, ne requiert pas que l'auteur des faits soit animé d'une intention terroriste.

Dès lors, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l'usage d'internet pour rechercher des informations.

Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

L'article 421-2-5-2 du code pénal doit donc, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution".

Tag(s) : #Droit pénal
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