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Par l'arrêt Nicolo , le Conseil d'État a accepté de contrôler la compatibilité d'une loi avec les stipulations d'un traité, même lorsque la loi est postérieure à l'acte international en cause, en application de l'article 55 de la Constitution, abandonnant ainsi la théorie de la loi écran.

Nous fêtons aujourd'hui son vingt-huitième anniversaire.

Il est intéressant de nous rappeler les raisons de son importance.

I- L'APPLICATION DE LA THÉORIE DE LA LOI-ECRAN

A- La loi "expression de la volonté générale" : la théorie du légicentrisme

La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 proclame : 

"La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents" art 6. 

Montesquieu (1689 - 1755) affirmait :

"Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur" (Esprit des Lois 1748).

Pour Tocqueville (1805 - 1859) :

"Le premier caractère de la puissance judiciaire, chez tous les peuples, est de servir d’arbitre… le deuxième caractère de la puissance judiciaire est de se prononcer sur des cas particuliers et non sur des principes généraux… le troisième caractère est de ne pouvoir agir que quand on l’appelle ou, suivant l’expression légale, quand elle est saisie."

En conséquence, le juge dit et applique les principes adoptés par le peuple sans pouvoir les amodier ou en modifier le sens ni la portée.

Les législateurs révolutionnaires témoignent ainsi de la crainte du pouvoir judiciaire. Crainte qui se traduira par la mise en place du référé législatif. Le juge "passif" devant s'adresser au législateur dès qu'une difficulté d'interprétation se posait. Il est supprimé en 1837.

Quatre éminents juristes de la commission mise en place le 14 août 1800 par le Premier consul, François Denis Tronchet, Félix Julien Jean Bigot de Préameneu, Jean-Étienne-Marie Portalis et Jacques de Maleville rédigèrent, sous la direction de Cambacérès, le Code civil dit le Code Napoléon.

L' article 5 énonce toujours :

"Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises".

Donc le jurisprudence ne devrait avoir aucune valeur normative. C'est ce que confirme la Première chambre civile de la Cour de cassation "l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée" (Cass 1civ 9 octobre 2001 n° 00-14.564).

Cette affirmation n'est valable que si la Loi est intelligible et lisible. Or, descendue de son piédestal par une inflation à outrance qui émousse l'efficacité du droit, le juge se doit aussi d'être créatif.

PORTALIS en était convaincu :

"La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au bien commun ; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre ne suffit pas" (Discours préliminaire au code civil).

L'article 4 du code civil le confirmera :

"Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice".

Ce qui contredit la première hypothèse.

B-  La théorie de la séparation des pouvoirs

Élaborée par Locke (1632-1704) et Montesquieu (1689-1755), la théorie de la séparation des pouvoirs vise à séparer les différentes fonctions de l’État, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines.

"Kant, dans la Métaphysique des mœurs notamment, a été l’un des premiers à exprimer de manière claire le lien entre l’Etat de droit et l’existence de trois pouvoirs équilibrés, impliquant une justice indépendante et dotée d’autorité". 

 L’émergence de l’Etat de droit est indissociable de cette reconnaissance.

L'art 16 DDHC proclame "Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".

Le légicentrisme affirme qu'aucune norme supérieure à la loi ne doit s'interposer entre le juge et le législateur. La Loi stricto sensu "volonté du peuple souverain" forme ainsi un écran entre le juge et les autres normes telles que la Constitution et les Conventions internationales.

C'est pourquoi, le juge a longtemps fait prévaloir la loi postérieure au Traité.

Illustration :

  • CE, sect., 06/11/1936, Arrighi

Durant l'entre-deux-guerre le Parlement adopte une loi autorisant le Gouvernement à prendre toutes les mesures utiles aux fin de permettre de rétablir l'équilibre des finances de l'Etat.

Cette délégation aura pour résultat la publication du décret du 10 mai 1934 destiné à réduire la masse salariale de l'Etat par le biais notamment de la mise à la retraite d'office de certains agents.

M ARRIGHI avait effectué dans l'armée ainsi que pour des métiers civils un total de trente ans de service.Sur le fondement du décret pris en application de l'article 36 de la loi du 28 février 1934, il est mis à la retraite.

Il forme un recours contre cette décision individuelle devant le juge administratif. Il soulève l’inconstitutionnalité de la loi d’habilitation à l'origine de son remerciement. 

La question : A qui revient la compétence du contrôle de conventionnalité des lois ? Le Conseil d'Etat est-il compétent pour effectuer un contrôle de constitutionnalité de la loi ?

Le Conseil d'Etat rejette la requête du requérant. Juge de l'administration, il est donc juge de l'exécutif.

En vertu du principe de séparation des pouvoirs il ne peut censurer un acte pris par le pouvoir législatif. Nous sommes sous la doctrine du légicentrisme.

Cette position se rencontrera dans  plusieurs arrêts dont : 

  • CE, 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France

"L'ordonnance du 19 septembre 1962 ayant valeur législative, a maintenu à titre transitoire le régime douanier en vigueur avant le 3 juillet 1962 en ce qui concerne l'entrée en France de marchandises en provenance d'Algérie. Décision attaquée exemptant en application de cette ordonnance, l'importation de semoules algériennes en France des prélèvements institués par le règlement n° 19 de la Communauté Economique Européenne. La conformité d'un texte législatif postérieur au Traité de Rome avec ledit Traité et avec un règlement communautaire lui-même antérieur à ce texte, n'est pas une question susceptible d'être discutée devant le juge administratif".

Position en contradiction avec celle de la Cour de cassation mais aussi avec celle du Conseil constitutionnel dès 1975.

Le Conseil d'Etat :

"En substituant au corps du roi, comme expression de la souveraineté, l’idée d’une volonté générale abstraite, incarnée dans la toute-puissance de la loi et d’elle seule, ils créaient dans le même temps les conditions de la domination d’un pouvoir sur les autres. De l’Ancien régime à la Révolution, c’est le même Etat qui s’est perpétué. Seuls ont changé le souverain et donc la source de la légitimité : le peuple s’est substitué au Roi".

II- L'ABANDON DE LA THÉORIE DE LA LOI-ECRAN

A- Par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel : le contrôle de conventionnalité

Alors que la juridiction suprême de l'ordre administratif se refusait de pourvoir au contrôle de constitutionnalité, la juridiction suprême de l'ordre judiciaire reconnaissait la primauté de l'ordre juridique communautaire, notamment le Traité de Rome, sur les lois nationales antérieures mais aussi sur les lois nationales postérieures. Quant au Conseil constitutionnel, il estime que la supériorité des traités sur les lois posée par l'article 55 de la Constitution "présente un caractère à la fois relatif et contingent",contrairement à la supériorité de la Constitution qui est absolue et permanente. 

Illustration :

  • Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 "IVG"

L'art 55 C ""Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie."

  • si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n'impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution prévu à l'article 61 de celle-ci ; 
  • les décisions prises en application de l'article 61 de la Constitution revêtent un caractère absolu et définitif, ainsi qu'il résulte de l'article 62 qui fait obstacle à la promulgation et à la mise en application de toute disposition déclarée inconstitutionnelle ;
  • qu'au contraire, la supériorité des traités sur les lois, dont le principe est posé à l'article 55 précité, présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant, d'une part, à ce qu'elle est limitée au champ d'application du traité et, d'autre part, à ce qu'elle est subordonnée à une condition de réciprocité dont la réalisation peut varier selon le comportement du ou des Etats signataires du traité et le moment où doit s'apprécier le respect de cette condition ; 
  • Une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ; 
  • Le contrôle du respect du principe énoncé à l'article 55 de la Constitution ne saurait s'exercer dans le cadre de l'examen prévu à l'article 61, en raison de la différence de nature de ces deux contrôles 

Donc "il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international".

  • Cass mixt 24 mai 1975 n° 73-13556 "Vabre"

La société V importe des cafés des Pays Bas qui supportent une imposition supérieure à celle supportée par les produits nationaux similaires en application de l'art 265 du Code des Douanes (postérieur au Traité fondateur de la CEE).

La société requérante invoque l'art 95 du Traité de Rome du 25 mars 1957 qui interdit toute mesure discriminatoire consistant à imposer davantage les produits importés que les produits nationaux similaires afin de protéger ces derniers.

Au visa de l'art 55 de la Constitution, les juges de l'ordre judiciaire reconnaissent la primauté du droit communautaire sur les lois postérieures : soit l'art 95 du Traité sur l'article 265 du Code des Douanes.

B- Le Conseil d'Etat et l'admission de la primauté du droit communautaire sur la loi nationale

Malgré les décisions du juge judiciaire, le Conseil d'Etat n'admettait la primauté du droit communautaire que si la loi française étant antérieure.

Il faudra attendre 1989 pour que la haute Cour administrative se range à la solution adoptée depuis 1975 par la haute Cour judiciaire.

En l'espèce, M NICOLO guadeloupéen contestait ma compatibilité de la loi du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants de la France à l'Assemblée des communautés européennes avec les stipulations de l'article 227-1 du Traité de Rome.

Il fait valoir que les les résidents des DOM-TOM y ont participé, alors que ceux-ci ne font manifestement pas partie du continent européen.

Le Conseil d'État rejette la requête en estimant que la loi organisant les élections (loi du 7 juillet 1977) est conforme au traité de Rome.

L'arrêt nicolo pose le principe de la suprématie du droit international sur les lois françaises.

ce contrôle de conventionnalité se poursuivra notamment avec l'arrêt CE Ass. 30 novembre 2001 M. Ministre de la défense et ministre c/ Diop :

La "cristallisation" du montant des pensions des ressortissants de pays anciennement sous souveraineté française est contraire à la CEDH.

Tag(s) : #Le droit administratif, #Droit UE
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