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CJUE, 25 juill. 2018, n° C‑96/17, Gardenia Vernaza Ayovi c/ Consorci Sanitari de Terrassa

La réglementation espagnole opère une distinction entre un agent contractuel permanent (Sans statut de fonctionnaire) et  un agent contractuel à durée indéterminée non permanent (Travailleur temporaire) lors d'un licenciement disciplinaire déclaré abusif. Tous deux au service d'une administration publique.

Le premier doit obligatoirement être intégré alors que dans la même hypothèse le second peut ne pas être réintégré et ne percevoir qu'une indemnité.

En l'espèce, depuis le 30 mai 2006, la salariée infirmière travaillait pour une Fondation privée de santé  en Espagne sur la base d'un contrat de travail temporaire de remplacement. Ce premier contrat ayant pris fin, un second est conclu le 15 août 2006. 

Le 28 décembre 2006 ce contrat devenait temporaire à durée indéterminée. Les droits et obligations résultant de la relation de travail ont été cédés au consortium de santé de Terrassa. 

En juillet 2011, elle obtint un congé pour convenance personnelle du 19 juillet 2011 au 19 juillet 2012. Période renouvelé à deux reprises pour une période d’un an.

Le 19 juin 2014, la salariée demande sa réintégration. L'employeur lui oppose un emploi à temps partiel. Ce qu'elle refuse souhaitant un temps complet. La salariée ne se présente pas sur son lieu de travail. Elle fait donc l'objet d'un licenciement disciplinaire en juillet 2016.

La salariée saisit le Tribunal du travail de Terrassa pour voir déclarer son licenciement abusif et de condamner son employeur soit à la réintégrer, soit à lui payer l'indemnité légale maximale prévue en cas de licenciement abusif. 

C'est dans ce cadre que le juge Espagnol décide de surseoir à statuer et de se tourner vers la Cour de Justice de l'Union Européenne.

La demande de décision préjudicielle du juge espagnol à la Cour de justice porte sur l'interprétation de la clause 4, 1 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999. Il figure à l'annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 :

"Dans le cadre du recours contre le licenciement disciplinaire d’une travailleuse considérée comme travailleuse temporaire à durée indéterminée au service des administrations publiques,

1) Faut-il considérer que les conséquences juridiques d’un licenciement disciplinaire qualifié d’abusif (illégal), prévues par l’ordre juridique et, plus précisément, la conséquence prévue à l’article 96, paragraphe 2, du [statut de base de l’agent public], relèvent de la notion de “conditions d’emploi” figurant à la clause 4, point 1 ?

2) En vertu de la clause 4, point 1, faut-il considérer comme discriminatoire une situation comme celle qui est prévue à l’article 96, paragraphe 2, du statut de base de l’agent public, dans laquelle, lorsque le licenciement disciplinaire d’un travailleur permanent au service des administrations publiques est déclaré abusif (illégal), il a toujours pour conséquence la réintégration du travailleur, alors que, si le travailleur est un travailleur temporaire ou temporaire à durée indéterminée et effectue les mêmes tâches qu’un travailleur permanent, il est possible de lui octroyer une indemnité au lieu de le réintégrer ?

3) Si l’on interprète la même situation, non à la lumière de la directive, mais à la lumière de l’article 20 de la Charte [...], un traitement inégal dans ces circonstances est-il justifié ?"

 

Nous allons dans un premier point mettre en parallèle les règles en présence pour ensuite comprendre la décision du Juge de Luxembourg.

I- Le cadre juridique

A- Du droit de l'UE 

1- Accord-cadre du 18 mars 1999

Aux termes de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre :

"Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre."

La clause 3 de l’accord-cadre, intitulée "définitions", prévoit :

"Aux termes du présent accord, on entend par :

“travailleur à durée déterminée”, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé ;

“travailleur à durée indéterminée comparable”, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. Lorsqu’il n’existe aucun travailleur à durée indéterminée comparable dans le même établissement, la comparaison s’effectue par référence à la convention collective applicable ou, en l’absence de convention collective applicable, conformément à la législation, aux conventions collectives ou aux pratiques nationales."

2- La spécificité de la clause 4, point 1

La clause 4, point 1, de l’accord-cadre énonce :

"Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives."

La clause 5, point 2, de l’accord-cadre prévoit :

"Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée."*

L'article 20 de la Charte des Droits fondamentaux de l'UE consacre l'égalité en droit de tous les citoyens.

Comme le précise la Cour de justice "l’égalité en droit que l’article 20 de la Charte consacre a, en ce qui concerne les travailleurs à durée déterminée, été mise en œuvre par la directive 1999/70, et en particulier par la clause 4 de l’accord-cadre qui figure à l’annexe de celle-ci, la situation en cause dans l’affaire au principal doit être examinée à la lumière de cette directive et de l’accord-cadre".

B- Le droit Espagnol 

 

  •     L’article 56, paragraphe 1, du décret royal législatif 2/2015 portant approbation du texte de refonte de la loi sur le statut des travailleurs, du 23 octobre 2015 prévoit :

"Lorsque le licenciement est déclaré abusif, l’employeur, dans un délai de 5 jours à compter de la signification du jugement, soit réintègre le salarié dans l’entreprise, soit procède au versement d’une indemnité équivalant à 33 jours de salaire par année d’ancienneté, les périodes inférieures à une année étant prises en considération au prorata des mois accomplis, dans la limite de 24 mensualités. L’option indemnitaire entraîne la cessation du contrat de travail, qui prend effet à la date de l’arrêt effectif du travail."

Le "Real Decreto Legislativo" 5/2015 portant approbation du texte de refonte de la loi sur le statut de base de l’agent public, du 30 octobre 2015 ci-après le "statut de base de l’agent public", dispose, à son article 2, intitulé "Champ d’application" :

"Le présent statut est applicable aux fonctionnaires et, le cas échéant, aux agents contractuels au service des administrations publiques suivantes :

[...]

Le présent statut a un caractère supplétif pour l’ensemble du personnel des administrations publiques qui ne relève pas de son champ d’application.

[...]"

L’article 7 du statut de base de l’agent public, intitulé "Réglementation applicable aux agents contractuels", prévoit :

"La situation des agents contractuels au service des administrations publiques est régie par la législation en matière de travail et les autres règles normalement applicables, mais également par les dispositions du présent statut qui le prévoient."

L’article 8 du statut de base de l’agent public, intitulé « Notion et types d’agents publics », énonce :

"Sont des agents publics les personnes exerçant des fonctions rémunérées dans les administrations publiques au service de l’intérêt général.

Les agents publics sont classés en :

a) Fonctionnaires statutaires.

b) Agents non titulaires.

c) Agents contractuels, qu’il s’agisse de personnel permanent, à durée indéterminée, ou déterminée.

d) Personnel auxiliaire. »

L’article 93 du statut de base de l’agent public, intitulé « Responsabilité disciplinaire », dispose :

"Les fonctionnaires publics et les agents contractuels sont soumis au régime disciplinaire établi au présent titre et dans les règles énoncées par les lois relatives à la fonction publique adoptées pour mettre en œuvre le présent statut.

[...]

En matière de régime disciplinaire des agents contractuels, la législation en matière de travail s’applique aux situations non prévues par le présent titre".

L’article 96 du statut de base de l’agent public, intitulé « Sanctions », prévoit, à son paragraphe 2 :

"Lorsque l’ouverture d’une procédure disciplinaire pour faute très grave donne lieu à un licenciement qui est ensuite déclaré abusif, il y a lieu de réintégrer l’agent contractuel permanent."

 

II- Les motifs de la décision

A- Rappel des principes par le Juge de l'UE

1- Le principe de non discrimination

"L’accord-cadre, en particulier sa clause 4, vise à faire application dudit principe aux travailleurs à durée déterminée en vue d’empêcher qu’une relation d’emploi de cette nature soit utilisée par un employeur pour priver ces travailleurs de droits qui sont reconnus aux travailleurs à durée indéterminée (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16))".

Dès lors :

  • la clause 4 doit être comprise comme exprimant un principe de droit social de l’Union qui ne saurait être interprété de manière restrictive (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16)
  • la clause 4, point 1 établit une interdiction de traiter les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.

Selon la jurisprudence de la Cour et notamment "Grupo Norte Facility, C-574/16 "le principe de non-discrimination, dont la clause 4, point 1, de l’accord-cadre constitue une expression particulière, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié".

L'outil appréciant la situation comparable  est un ensemble de facteurs :

  • La nature du travail
  • Les conditions de formation et de travail.

Mais aussi la notion de "raisons objectives" de l'inégalité au regard de :

  • l'mpossibilité de justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée par le fait que cette différence est prévue par une norme générale et abstraite, telle une loi ou une convention collective.
  • l'existence d'éléments précis et concrets caractérisant la condition d'emploi
  • La réponse à un besoin véritable et nécessaire à cet effet.

2- La notion de "conditions d'emploi"

En ce qui concerne la "conditions d'emploi' au sens de la clause 1, point 1, le critère décisif :

  • celui de l'emploi ou plus précisément de la relation de travail établie entre un travailleur et son employeur (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16).

Relève de cette notion :

  • les règles relatives à la détermination du délai de préavis applicable en cas de résiliation du contrat de travail
  • les règles relatives à l'indemnité allouée au travailleur en raison de la résiliation du contrat de travail.

Ce qui permet une garantie de la protection accordée aux travailleurs à durée déterminée contre les discriminations (arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16).

B- Conclusion

1- La principe de non discrimination et la situation comparable

Les juges de l'UE rappellent que :

"En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de déterminer si la salariée se trouvait dans une situation comparable à celle des travailleurs permanents engagés par le même employeur au cours de la même période".

"qu’il existe une différence de traitement entre les travailleurs permanents et les travailleurs non permanents, tels que la salariée, en ce qui concerne les conséquences découlant d’un éventuel licenciement abusif".

Ensuite, ils se penchent sur la question de la raison objective justifiant du traitement différent.

La règle générale applicable en l'espèce dans le cadre de licenciement qualifié d’"abusif" ou d’"illégal" prévoit que l’employeur peut choisir entre la réintégration ou l’indemnisation du travailleur concerné.

C'est que par exception à ladite règle générale que les travailleurs permanents au service des administrations publiques dont le licenciement disciplinaire est déclaré abusif doivent obligatoirement être réintégrés.

Justification de la différence de traitement par le gouvernement espagnol :

  • au regard des modalités de recrutement de cette dernière catégorie de travailleurs et du contexte particulier dans lequel intervient leur recrutement.

La garantie de réintégration en cause serait ainsi indissociablement liée au système d’accès aux emplois permanents :

  • Caractère sélectif du recrutement des agents contractuels permanents
  • Épreuves ou processus d'évaluation 
  • Reconnaissance des mérites visant la capacité des candidats
  • Réussite à un concours d'accès à l'administration publique.

Par la réintégration automatique en cas de licenciement jugé abusif, le législateur espagnol vise à protéger les travailleurs permanents dans l’administration publique dans le respect des principes d’égalité, de reconnaissance des mérites et d’aptitude et la publicité. Ce qui justifierait d’accorder davantage de garanties au personnel permanent, tel le droit de permanence dans l’emploi, qu’au personnel temporaire ou à durée indéterminée.

Selon ce gouvernement :

  • "pour les agents permanents, la réintégration obligatoire garantit alors la stabilité de l’emploi, eu égard aux principes consacrés par la Constitution espagnole.
  • pour le personnel non permanent, le maintien dans les fonctions ne constitue pas un élément déterminant de la relation d’emploi, de telle sorte que, dans ce cas, le législateur espagnol n’a pas considéré opportun de priver l’administration employeur de la faculté de choisir entre la réintégration du travailleur dont le licenciement disciplinaire est déclaré abusif et l’octroi d’une indemnité à celui-ci".

"Cette différence inhérente aux modalités de recrutement a pour effet que l’agent contractuel permanent, qui n’est pas fonctionnaire, mais qui a quand même réussi une procédure de sélection conforme aux principes d’égalité et de reconnaissance des mérites et de la capacité, peut bénéficier de cette garantie de permanence qui constitue une exception au régime ordinaire du droit du travail".

2- La notion de conditions d'emploi

Le contrat de travail de la salariée en cause est un contrat de travail à durée déterminée.

Les dispositions de l'accord-cause applicable en l'espèce s'appliquent au régime de la réintégration en cause au principal. "Ce régime ayant pour raison d’être la relation de travail qui s’est nouée entre un tel travailleur et son employeur", il relève de la notion de "conditions d'emploi".

L'inégalité de traitement constatée est justifiée par l'existence d'éléments précis et concrets caractérisant la condition d'emploi dans la fonction publique, telles que l'impartialité, l'efficacité et l'indépendance de l'administration.

Afin de préserver une permanence et une stabilité d'emploi, une telle différence est justifiée. La clause 4, point 1 ne s'oppose pas à la réglementation Espagnole.

Tag(s) : #Droit social
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