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L'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 introduit la notion de déséquilibre significatif dans le code civil.

Auparavant, cette notion existait au sein de deux codes :

  • Consommation : art L 132-1 et s (art L212-1 nouveau)
  • Commerce : art L 442-6, I-2°

Quel apport ?

Afin d'apporter une réponse plongeons-nous dans les textes spéciaux, existants, pour ensuite reconnaître la portée dérisoire de cette intégration dans le code civil pour les contrats souscrits au 1° octobre 2016.

I- Les textes spéciaux

A- Une clause entre professionnel et consommateur

1- Le code de la consommation

L'article L212-1 modifié par Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 (art L132-1 ancien)

"Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution. 
L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.  [...]. 

2- Personnes habilitées à introduire l'action

Lisons l'article liminaire modifié par loi n°2017-203 du 21 février 2017 :

"Pour l'application du présent code, on entend par :

  • consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
  • non-professionnel : toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ;
  • professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel".

Toute personne physique "consommateur" peut demander à ce que soit reconnu la clause abusive comme réputée non écrite.

3- Clause réputée non écrite

Le Code de la consommation répute non écrites les clauses abusives des contrats conclus entre professionnels et consommateurs. Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.

"Ayant relevé que la clause figurant sur le bulletin de dépôt exonérait le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, le jugement attaqué, dont il ressort qu’une telle clause procurait un avantage excessif à la société Minit France et que celle-ci, du fait de sa position économique, se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle, a décidé à bon droit que cette clause revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite" (Cass 1civ 14 mai 1991 n° 89-20999).

B- Une clause entre tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers

1- Mise en cause de la responsabilité de l'auteur

L’article L. 442-6 I 2° du code de commerce prévoit qu’engage "la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; [...] "

Rappelons que la Loi NRE du 15 mai 2001 a créé la Commission d’examen des pratiques commerciales (art. L. 440-1 et D. 440-1 et s. du Code de commerce). Elle est le pendant de la Commission des clauses abusives. Elle a pour mission de donner des avis ou de formuler des recommandations, notamment, sur les pratiques concernant les relations commerciales entre producteurs ou fournisseurs et distributeurs. 

L’action peut être introduite par toute personne intéressée, le ministère public, le ministre chargé de l’économie ou le président de l’Autorité de la concurrence, comme le rappelle récemment la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 29 octobre 2014 (CA Paris, 29 octobre 2014, n°13/11059).

Les clauses abusives créent :

  • Une dépendance économique du fournisseur ou du distributeur, qui n’a pas d’autre choix que d’accepter ces conditions défavorables imposées,
  • Des obligations générales sans aucune précision
  • Manifestement disproportionné au regard de la contrepartie, avantage sans contrepartie.Un échanges d'obligations

Ainsi dans une affaire, le ministre de l'économie assigne la société Eurau..., centrale d'achats des magasins à l'enseigne Au... en nullité de clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations entre elle et ses fournisseurs et en paiement d'une amende civile.

En cours d'instance l'autorité publique renonce à sa demande en nullité. C'est pourquoi, la société Eurau... est déboutée de sa demande tendant à faire juger irrecevable l'action du ministre pour absence d'information des parties au contrat litigieux. Comme le rappelle la Cour de cassation l'obligation d'information des parties au contrat est imposée que lorsque l'action engagée par l'autorité publique tend à la nullité des conventions illicites, à la restitution des sommes indûment perçues et à la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés. En l'espèce l'action tendait seulement qu'à la cessation des pratiques et au prononcé d'une amende civile.

Pour caractériser le déséquilibre significatif auquel la société distributrice... a soumis ses fournisseurs :

Une clause de révision exigeant un préavis minimum et des justifications en cas de hausse des tarifs du fournisseur alors qu'en cas de baisse des coûts, la centrale d'achats pouvait dénoncer unilatéralement et à tout moment la convention si le fournisseur ne diminuait pas ses tarifs.

Absence de réciprocité dans les conditions de mise en oeuvre de la clause litigieuse la baisse de tarif initiée par la centrale d’achats rendait systématique et immédiate la dénonciation de l’accord et emportait obligation de renégocier alors que les fournisseurs devaient justifier des "éléments objectifs sur la base desquels ils entendent procéder à une augmentation de ses tarifs", toute modification devant recueillir le consentement de la centrale d’achats sans que la teneur de ces éléments objectifs soit connue.

Absence de négociabilité de cette clause car sa modification était toujours refusée (Cass com 3 mars 2015 n° 13-27527).

2- Personne habilitée à introduire l'action

Art L 442-6 3° "L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article".

Contrairement au droit de la consommation, nul est besoin de caractériser la dominance ou l'infériorité d'une des parties au contrat.

Il suffit simplement de démontrer qu'une partie a soumis ou tenté de soumettre "un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties".

La Cour d'appel de Paris est venu préciser qu'il suffit de faire peser ou tenter de faire peser, du fait du déséquilibre du rapport de force existant entre les parties, des obligations injustifiées et non réciproques à l'une des parties. Elle ne s'identifie pas à une contrainte irrésistible. 

Le texte d'ordre public emporterait dès lors une nullité absolue invocable par toute personne intéressée notamment le ministère public, le ministre chargé de l’économie ou le président de l’Autorité de la concurrence (CA Paris 29 octobre 2014 n° 13-11059).

3- L'objet de la demande

"Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à cinq millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ou, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques mentionnées au présent article ont été mises en œuvre. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation.

La juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte [...].

IV. - Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire".

Autorisation d'une immixtion dans le contrat alors que celui-ci est la loi des parties (art 1134 du code civil devenu article 1103).

II- Le texte de droit commun

A- Un champ d'application restreint

1- Le caractère déséquilibré de la clause

Article 1171 du code civil :

"Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation". 

L'appréciation du déséquilibre s'effectue en prenant en compte le nouvel article 1168 du code civil qui énonce : 

"Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d'équivalence des prestations n'est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n'en dispose autrement".

Ce qui est le cas pour l'application de l'art 1675 du code civil sur la rescision de la vente pour lésion :

"Ayant exactement retenu que "le moment de la vente" visé par l'article 1675 du code civil était celui de la rencontre des volontés sur les éléments essentiels du contrat, à savoir la chose et le prix, ce qui correspondait normalement à la date de la promesse de vente, même en présence d'une condition suspensive, et constaté qu'il était justifié du paiement de l'intégralité du prix de vente lors de la signature du "compromis", une cour d'appel en déduit à bon droit que la date du "compromis" était celle à laquelle devait être appréciée la lésion (cass 3civ du 30 mars 2011 n° 10-13756)

En conséquence : le déséquilibre doit porter que sur l'économie générale du contrat et aucunement clause par clause. Ce qui exclut :

  • l'appréciation au regard de l'objet principal du contrat (art 1171 al 2)
  • l'appréciation au regard du prix de la prestation (art 1168 et 1171 al 2).

2- Exclusion des contrats de gré à gré

L'art 1110 du code civil distingue entre le contrat de gré à gré et le contrat d'adhésion :

  • Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties d'égale puissance.

Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur (Article 1190 du Code civil).

  • Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties.

Le contrat d’adhésion doit comporter des conditions générales déterminées par l'une des parties et soustraites à la négociation (ex : contrat assurance).

B- Une inspiration du droit de la consommation

1- Une confusion de l'existant ?

Des dispositions à destination des particuliers ? des professionnels ? des non-professionnels ?

La similitude entre les articles du code civil et du code de la consommation pose la question de la portée pratique de cet intégration au sein du code civil dans la mesure où les dispositions de l'art L 212-2 ou L 132-1 ancien du code de la consommation bénéficient tant aux non professionnels qu'aux consommateurs :

"Une cour d'appel qui a relevé qu'une société civile immobilière, promoteur immobilier, était un professionnel de l'immobilier mais pas un professionnel de la construction, a pu retenir que cette société devait être considérée comme un non-professionnel vis-à-vis du contrôleur technique en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation.

Ayant retenu, à bon droit, que la clause ayant pour objet de fixer, une fois établie la faute contractuelle du contrôleur technique, le maximum de dommages-intérêts que le maître d'ouvrage pourrait recevoir, s'analysait en une clause de plafonnement d'indemnisation et, que cette clause, contredisant la portée de l'obligation essentielle souscrite par le contrôleur technique en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle quelles que soient les incidences de ses fautes, constituait une clause abusive, qui devait être déclarée nulle et de nul effet, une cour d'appel a légalement justifié sa décision" (Cass 3civ 4 février 2016 n° 14-29347)

2- Une même sanction 

Nous pouvons constater une nouvelle fois que le législateur s'est inspiré du droit de la consommation qui prévoient la même sanction : une clause réputée non écrite. Le code de commerce les multipliant comme l'illustre l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 3 mars 2015.

Par ailleurs, les articles pré-existants amenaient déjà le juge à devoir apprécier l'équilibre du contrat et à porter atteinte au principe de l'autonomie de la volonté des parties (art 1134 du code civil).

Cette réforme ne fait que confirmer cette immixtion du juge dans le principe précité, bien que les articles 1103 et 1193 du code civil énoncent toujours :

  • Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits (art 1103).
  • Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise (art 1193).

 

 

 

 

 

Tag(s) : #droit obligation
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