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 Cass 3civ 31 mai 2018 n° 16-25827

Les baux commerciaux, professionnels ou d'habitation sont en principe écrits. Mais qu'en est-il du bail rural ?

Il nous revient de préciser dans un premier temps la définition du bail rural pour ensuite apporter une réponse à la question posée en nous aidant de la décision du 31 mai 2018 en référence.

Le bail rural est "toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole" art L411-1 du code rural et de la pêche maritime.

L'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme les conditions de validité d'un bail sous signatures privées. .

Par jugement du 16 mai 2008, le propriétaire d'une exploitation viticole est placé en liquidation judiciaire. La SELARL M est désignée liquidateur.

Une ordonnance du 31 juillet 2009 autorise le fils du débiteur et la EARL V à entretenir le vignoble.

Une seconde ordonnance du 5 juillet 2013 ordonne la mise en vente du domaine sur adjudication. Un tiers créancier est reconnu propriétaire du bien.

Par déclaration du 13 juillet 2015, le liquidateur et le fils du liquidé saisissent le tribunal paritaire des baux ruraux en reconnaissance d’un bail que le père viticulteur aurait consenti à son fils sur une parcelle par acte sous seing privé en date du 20 juillet 1998 et en qualification de bail rural, la mise à disposition de la société liquidatrice de l’ensemble du fonds.

Par un arrêt du 15 septembre 2016, la cour d'appel refuse de faire droit aux demandeurs : l'acte du 20 juillet 1998 serait inopposable au liquidateur et à l'adjudicateur.

Ces derniers forment un pourvoi. Par un arrêt de rejet, la haute Cour donne raison aux juges du fond qui avaient retenu :

Les actes sous seing privé ne sont valables que :

  • s’ils ont été faits en autant d’originaux qu’il y a de parties
  • s'ils ont été enregistrés pour obtenir date certaine contre les tiers.

Le contrat invoqué étant établi en un seul exemplaire et dépourvu d'enregistrement aucune preuve (I) ne permet d'établir ni la qualité de locataire du fils ni l'antériorité (II) de la mise à disposition du bien.

I- Force probante entre les parties

A- Distinction acte authentique et acte sous signatures privées

1- La preuve par écrit

L'article 1364 du code civil prévoit que "la preuve d'un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée".

L'article 1366 complète en maintenant l'équivalence entre l'écrit et l'électronique.

Pour rappel, un arrêt rendu le 4 décembre 2008 par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation posa la première pierre pour la reconnaissance de la valeur probante de l'écrit numérique :

"Prive sa décision de base légale, la cour d'appel qui retient qu'une caisse primaire d'assurance maladie justifie de l'accomplissement de la formalité prévue à l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale par la production de la copie informatique de la lettre d'information adressée à l'employeur sans rechercher si le document produit répondait aux exigences des articles 1334, 1348 et 1316-1 du code civil" (Pourvoi n°07-17622).

L'ordonnance n° 2016-31 retient au sein de la disposition précitée "l'écrit électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier"...[ ]

L'écrit électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité.

2- L'acte entre partie ou apposition du sceau de l'officier public

Article 1367 "La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l'authenticité à l'acte.

Lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat".

Les actes sous seing privés ou "sous signatures privées" depuis l'ordonnance du 10 février 2016 "fait foi entre ceux qui l'ont souscrit et à l'égard de leurs héritiers et ayants cause" article 1372 du code civil.

B- La validité de la preuve de l'acte écrit entre partie

1- La conclusion du bail rural

Article 1714 du code civil "On peut louer ou par écrit ou verbalement, sauf, en ce qui concerne les biens ruraux, application des règles particulières aux baux à ferme et à métayage".
 
Article L411-4 du code rural "Les contrats de baux ruraux doivent être écrits".
 
Pour autant, l'absence d'écrit vaut-il absence de bail ?
 
L'alinéa 2 de l'article précité précise que "A défaut d'écrit enregistré avant le 13 juillet 1946, les baux conclus verbalement avant ou après cette date sont censés faits pour neuf ans aux clauses et conditions fixées par le contrat type établi par la commission consultative des baux ruraux".

Nous pouvons en conclure que le bail verbal doit être assimilé au contrat type fixé par arrêté préfectoral et destiné à règlementer les rapports entre le propriétaire bailleur et le locataire preneur.

La difficulté du bail verbal : la preuve de son existence devant le tribunal compétent.

Article L491-1 du code rural "Il est créé au siège de chaque tribunal d'instance un tribunal paritaire des baux ruraux qui est seul compétent pour connaître des contestations entre bailleurs et preneurs de baux ruraux relatives à l'application des titres Ier à VI et VIII du livre IV du présent code".

2- La soumission au droit commun de la preuve des actes juridiques

L'article 1375 précise que "L'acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s'il a été fait en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l'unique exemplaire dressé".

Les juges sanctionnent dans un premier temps le défaut d'établissement du bail en autant d'originaux qu'il y avait de parties.

Par ailleurs, l'acte sous seing privé ne fait pas foi de sa date. Pour qu'il aie date certaine, il doit être enregistré.

Irrespect de la formalité du double original = Absence de force probante. 

II- Opposabilité de l'acte au tiers

A- La preuve de la date de l'établissement du contrat 

1- Une date certaine

Reprenons la jurisprudence du 4 décembre 2008. En l'espèce, la CPAM prend en charge au titre de la législation professionnelle la maladie d'une salariée déclarée le 15 nov 2002.

L'employeur saisit la juridiction de la sécurité sociale d'une demande tendant à ce que cette décision lui soit déclarée inopposable. Motif :la CPAM ne l'aurait pas avisé de la fin de la procédure d'instruction, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle entendait prendre sa décision.

La cour d'appel déboute le demandeur de ses prétentions en estimant "qu'il ne saurait être fait grief à la caisse de n'avoir conservé que la seule copie informatique du courrier en date du 20 janvier 2003 et que le fait de l'avoir édité sur du papier à en-tête revêtu d'un logo diffusé en 2004 ne saurait constituer en soi la preuve de l'absence de réception de l'original".

La cour de cassation casse l'arrêt en mentionnant au préalable  "qu'il résulte des deux premiers de ces textes [1334 et 1348 cc] que lorsqu'une partie n'a pas conservé l'original d'un document, la preuve de son existence peut être rapportée par la présentation d'une copie qui doit en être la reproduction non seulement fidèle mais durable ; que selon le troisième [1316-1 cc], l'écrit sous forme électronique ne vaut preuve qu'à condition que son auteur puisse être dûment identifié et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité".

Elle conclut "Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le document produit par la caisse pour justifier de l'accomplissement de la formalité prévue à l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale répondait aux exigences des articles susvisés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ces textes".

La CPAM produisait une impression papier réalisée en 2004 de l'enregistrement informatique de 2003.

2- Auprès du service fiscal

Article 1377 "L'acte sous signature privée n'acquiert date certaine à l'égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d'un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique".
 
Pour les actes sous seing privé soumis obligatoirement à l'enregistrement, les parties doivent déposer au service des impôts, pour y être conservé, un double revêtu des mêmes signatures que l'acte lui-même (CGI art 849).
 
À la différence de l'acte authentique, l'acte sous seing privé ne fait foi que jusqu'à preuve contraire.

L’acte litigieux, le bail rural, n'avait pas été enregistré auprès d'un service fiscal ce qui le rendait, en raison de l’incertitude de la date, inopposable à l’acquéreur du fonds, adjudicataire.

B- Le renforcement de la force probante

1- L'acte d'avocat

La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires a instauré le contreseing d'un acte sous seing privé par un avocat.

Les obligations de l'avocat rédacteur d'acte sont fixées par le règlement intérieur national de la profession d'avocat en son article 7.2.

Deux arrêts de la Cour de cassation en date du 27 novembre 2008 et du 25 février 2010 en précisent la portée :

  • "l’avocat était tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d’autre, peu important le fait que l’acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d’un seul des contractants (n° 07-18142)
  • le rédacteur d’acte, tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée et les incidences, notamment fiscales, des engagements souscrits de part et d’autre, peu important que son concours ait été sollicité par l’une d’elles, doit rapporter la preuve qu’il a rempli cette obligation à leur égard, quelles que soient leurs compétences personnelles" (n° 09-11591)

L'article 1374 du code civil reprend les articles 66-3-1 et 66-3-3 de ladite loi "L'acte sous signature privée contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l'avocat de toutes les parties fait foi de l'é criture et de la signature des parties, tant à  leur égard qu'à celui de leurs héritiers ou ayants cause".

Le contreseing apposé par l’avocat fait foi de l’écriture de l’acte de la signature par les parties. Ce contreseing justifie la valeur probante renforcée de l’acte par rapport à un acte sous seing privé classique.

2- L'absence de date certaine

En contresignant l'acte, l'avocat certifie avoir informé les parties des conséquences juridiques de l'acte. L’avocat engage sa responsabilité contractuelle en apposant son contreseing et s’expose à des poursuites en cas de manquement manifeste à ses obligations d’information, de conseil, de diligence et de compétence.

Pour autant, cet acte d'avocat ne peut être assimilé à l’acte authentique rédigé par les notaires. L'acte sous signatures privées par avocat ne confère pas date certaine. Pour ce faire, l'avocat devra faire enregistrer l'acte auprès de l'administration publique.

Par ailleurs, la force exécutoire de l'acte s'obtiendra par jugement ordonnant l'exécution de l'obligation.

Article 710-1 du code civil "Tout acte ou droit doit, pour donner lieu aux formalités de publicité foncière, résulter d'un acte reçu en la forme authentique par un notaire exerçant en France, d'une décision juridictionnelle ou d'un acte authentique émanant d'une autorité administrative.

Le dépôt au rang des minutes d'un notaire d'un acte sous seing privé, contresigné ou non, même avec reconnaissance d'écriture et de signature, ne peut donner lieu aux formalités de publicité foncière. Toutefois, même lorsqu'ils ne sont pas dressés en la forme authentique, les procès-verbaux des délibérations des assemblées générales préalables ou consécutives à l'apport de biens ou droits immobiliers à une société ou par une société ainsi que les procès-verbaux d'abornement peuvent être publiés au bureau des hypothèques à la condition d'être annexés à un acte qui en constate le dépôt au rang des minutes d'un notaire".

Irrespect de l'enregistrement au service des impôt = Inopposabilité

Relevons un arrêt du 6 juin 2018 de la première chambre civile de la Cour de cassation qui rappelle que " les obligations du notaire qui tendent à assurer l’efficacité d’un acte instrumenté par lui et qui constituent le prolongement de sa mission de rédacteur d’acte relèvent de sa responsabilité délictuelle" (n° 17-13975).

Tag(s) : #droit obligation
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