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Lors de la journée mondiale de la femme, le 8 mars 2014, le Défenseur des droits publiait une enquête sur le harcèlement sexuel au travail qui touchait 1 femme sur 5. En juin de la même année, la Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES) révélait que les salariés se sentaient en danger psychologiquement au sein de leur entreprise.

D'ailleurs, c'est pour cette raison que le gouvernement a programmé la disparition du centre d'études de l'emploi. Cette suppression emporta la démission de la directrice du service statistique ministériel (DARES) début 2016. La santé des travailleurs passant au second plan.

Néanmoins, cette contradiction entre la volonté de produire des richesses, des profits et la volonté de dégoûter les travailleurs ne doit pas faire oublier que les femmes et les hommes peuvent témoigner et faire entendre leur souffrance au sein des tribunaux, indépendant du politique. Pour illustration : Cass soc du 8 juin 2016 n° 14-13418.

En 2004, une salariée est engagée en qualité de responsable. En décembre 2008, elle est placée en arrêt maladie. Le 23 mars 2009, elle est déclarée apte à la reprise à condition de travailler sur un autre secteur. Le 21 avril 209, elle est licenciée.

La salariée saisit le Conseil des prud'hommes pour faire reconnaître le licenciement nul pour cause de harcèlement moral.

Malgré la reconnaissance d'éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement, par les juges du fond, elle est déboutée de ses demandes. La demanderesse ne "fournissait aucun élément de fait de nature à justifier sa demande". Ce jugement sera confirmé en appel. La Cour du quai d'Horloge jettera le pourvoi.

Cet arrêt est l'occasion d'aborder l'aménagement de la charge de la preuve en la matière pour ensuite souligner que la Cour suprême estime que le juge du fond est souverain pour l'appréciation des élements de preuve.

I- L'aménagement de la charge de la preuve en matière de harcèlement moral

A- Appréciation de la valeur et des éléments de preuve fournis

1- Définition

La Cour de cassation rappelle la définition du harcèlement moral "aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel"

Dans un arrêt du 10 juin 2015, la Haute juridiction précise que le harcèlement moral est indépendant de l’intention du harceleur, en d’autre terme, le harcèlement moral peut être caractérisé nonobstant l'inconscience de harceler de son auteur.

Condamné à des dommages et intérêts pour licenciement nul et harcèlement moral à l’encontre d’un directeur d’une association licencié pour inaptitude après un arrêt pour longue maladie, l’employeur contestait tout harcèlement notamment au motif qu’il n’aurait pas eu connaissance de la surcharge de travail alléguée par le salarié.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur en précisant : « Mais attendu qu’un harcèlement moral peut être constitué indépendamment de l’intention de son auteur…, la cour d’appel a pu en déduire…l’existence d’éléments qui, appréciés dans leur ensemble, en ce compris les éléments médicaux qui décrivaient des signes de souffrance au travail, laissaient supposer un harcèlement moral » (Cass soc 10 juin 2015 n°13-22808).

Dans une seconde décision du 7 juillet 2015, la Cour de cassation légitime le devoir d’immixtion des juges sur le pouvoir de gestion de l’employeur lorsque les méthodes employées par la hiérarchie caractérisent un harcèlement moral.

Un chef de cuisine de restaurant sollicitant la requalification de sa démission en prise d’acte arguait avoir été victime de harcèlement moral, demande rejetée par la Cour d’Appel qui retient que la grossièreté de l’employeur était habituelle à l’égard de l’ensemble de l’équipe.

La Cour de cassation conteste cette interprétation au motif que : « peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent, pour un salarié déterminé, par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Qu’en se déterminant comme elle l’a fait, alors que, outre le comportement humiliant et insultant de l’employeur, la pression considérable et la surcharge de travail, le salarié invoquait un état d’affaiblissement physique et psychologique qui a donné lieu à un arrêt de travail, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, ainsi qu’elle y était invitée, si l’attitude de l’employeur ne s’était pas traduite pour l’intéressé par une dégradation des conditions de travail de nature à porter atteinte à ses droits, à sa dignité et d’altérer sa santé physique, n’a pas donné de base légale à sa décision »(Cass soc 7 juillet 2015 n°13-26726)

2- Appréciation des faits matériellement établis

La demanderesse soulève la contradiction des motifs émis par les juges de la Cour d'appel pour  la débouter. Ils retiennent que "la salariée avait produit des éléments de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral" tout en considérant qu'ils n'étaient pas établis puisque l'employeur rapportait la preuve contraire.

B- La charge de la preuve

La salariée soutenait que lorsque des éléments produits laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral, il revient à l'employeur de démontrer l'inverse.

1- Matérialité des faits par la salariée et justification d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement pour l'employeur 

Ce que confirment les Hauts magistrats du Quai de l'Horloge à Paris "en vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ; qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement". 

La jurisprudence de la Cour suprême réitère depuis plusieurs années cette position :

«  Qu’en statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par la salariée,… la cour d’appel, qui a fait peser sur la salariée la charge de la preuve du harcèlement, a violé les textes susvisés  » (Cass soc 11 mars 2015 n° 13-24526).

« …le salarié qui n’est tenu que d’apporter des éléments qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral, la Cour d’Appel qui ne pouvait estimer certains faits non établis au motif qu’ils auraient été justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral ni rejeter la demande de la salariée au seul motif de l’absence de relation entre l’état de santé et la dégradation des conditions de travail, a violé le texte susvisé  » (Cass soc 20 mai 2015 n°13-28199).

2- Dans le cadre d'une obligation de sécurité pour l'employeur

Dans le cadre de l'Union Européenne, plusieurs textes l'attestent. La Charte sociale européenne du 3 mai 1996, l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne proclame que tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. Ces textes sont complétés par la directive-cadre 89/391/CEE du 12 juin 1989 qui prévoit une obligation de sécurité et de prévention à la charge de l’employeur et consacre le principe d’effectivité.

Au niveau national, les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail prévoient les mesures que l’employeur doit mettre en œuvre dans le cadre du son obligation générale de sécurité à l’égard des personnes

L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité vis-à-vis de tous les salariés de l'entreprise. Il doit donc prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement moral, sanctionner le harceleur mais également tout mettre en preuve pour protéger le salarié.

A défaut, le salarié victime peut engager la responsabilité de employeur pour manquement à cette obligation de sécurité et demander réparation « victime sur le lieu de travail d’agissement de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements » (Cass soc 11 mars 2015 n° 13-18603).

Soulignons que depuis une décision du 25 nov 2015, l'obligation de sécurité résultat à laissé sa place à une obligation de moyen "Mais attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail" (Cass soc 14-24444 AIR FRANCE).

La présomption de responsabilité de l'employeur qui ne peut s'exonérer que s'il démontre que son manquement provient d'un cas de force majeure tombe. Il lui suffirait de prouver qu'il a tout mis en oeuvre pour éviter le dommage.

II- L'office du juge du fond 

A- Appréciation souveraine 

1- Consolidation de leur position

La Cour de cass confirme la décision des juges du fond. Elle rappelle que " le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement".

Dans un arrêt du 11 février 2015, les Hauts magistrats avaient déjà précisé que "c'est dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel" avait retenu "que la salariée établissait la matérialité d'éléments de fait précis et concordants, laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral" (Cass soc 11 fév 2015 n° 13-26198).

2- Revirement

Or, suite aux appels de détresse, de plus en plus nombreux, des salariés, au sein de plusieurs arrêts du 24 sept 2008, la chambre sociale avait décidé d'exercer un contrôle sur la qualification du harcèlement moral mai surtout d'harmoniser les décisions des juges du fond (n° 1611, 1612, 1613, 1614).

Aujourd'hui, il s'agit de clarifier la position des juges du fond.

B- Décision échappant au contrôle de la Cour de cassation

1- Primauté de l'intime conviction des premiers juges

En tant que gardienne du droit et de son application, la Cour de cassation démontre une volonté de consolider les fonctions des juges du fond dans l'appréciation des faits exposés par les parties telle que dévolue par le code de procédure civile.

Le pouvoir souverain s'allie alors et toujours à l'intime conviction du juge de première instance ou d'appel.

2- Homogénéité en matière civile 

Sur ce point, la décision de la Haute Cour n'est en rien une nouveauté bien au contrairement. Dans le cadre de la reconnaissance d'un préjudice d'anxiété dans le contentieux du distilbène, la deuxième chambre civile avait déjà rappelé que le juge dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui sont soumis afin de déterminer l'existence et l'étendue du préjudice subi par la victime (Cass 2civ 11 déc 2014 n° 13-27440).

(Mis à jour le 22 octobre 2018)

Peut-on être complice de harcèlement pour des faits dont les victimes ne sont pas sous mon autorité ?

En décembre 2009, une plainte est déposée contre la société F T et ses dirigeants pour dénoncer la mise en place d'une politique de gestion des ressources humaines ayant eu pour objet le départ de 22 000 salariés ou agents. Ce procédé eut pour effet, selon la plaignante, de déstabiliser le personnel, de créer un climat anxiogène et de provoquer plusieurs suicides et arrêts de travail.

Le 8 avril 2010, au terme d'une enquête préliminaire, une information judiciaire est ouverte du chef notamment de harcèlement moral.

Au mois de juillet, la société et trois de ses dirigeants (Le PDG, le directeur des relations humaines, le directeur exécutif délégué) sont mis en examen.

Aux mois de novembre 2013 et de septembre 2014, quatre cadres sont entendus en qualité de témoins.

En décembre 2014, ils sont mis en examen du chef de complicité de harcèlement moral.

Deux d'entre eux présentent une requête aux fins d'annulation de leur mise en examen au motif : l'acte vise, comme victimes, certains salariés ne relevant alors pas ou plus de leur autorité hiérarchique.

Par un arrêt du 23 nov 2017, la chambre de l'instruction de la cour d'appel dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure. Les prévenus ayant contribué à l’efficacité, pour l’ensemble du groupe, d’un plan qui a créé un climat d’insécurité permanent pour tout le personnel.

La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi et reconnaît la complicité des prévenus au motif :

"'en l'état de ces énonciations, qui caractérisent l'existence d'indices graves ou concordants à l'encontre de Mme X... et de M. Z... d'avoir, en leur qualité de cadres de la société F T, indépendamment du rôle spécifique de direction d'un service qu'ils exerçaient, par aide et assistance, en l'occurrence par leur contribution active à l'efficacité, pour l'ensemble du groupe, du plan ACT, qui a créé un climat d'insécurité permanent pour tout le personnel, facilité la préparation et la consommation des délits de harcèlement moral reprochés à la société et trois de ses dirigeants au préjudice de chacun des salariés visés dans leur mise en examen, peu important que certains d'entre eux n'eussent pas relevé de la direction dont ils avaient alors la charge ou, s'agissant de Mme X..., que le dommage invoqué se fût produit après qu'elle eut quitté ses fonctions".

En participant à la mise en œuvre d’une politique d’entreprise, les prévenus ont influé sur la situation de l’ensemble du personnel du groupe, y compris des salariés n’appartenant pas à leur service.

Tag(s) : #Droit social
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